Le peintre Louis Soutter (1871-1942) a produit la majeure partie de son œuvre à « l’asile » de Ballaigues, où on l’avait exilé et mis sous tutelle. Évocation d’un artiste méconnu.
L’artiste, le musicien, le peintre Louis Soutter a connu une existence vraiment hors du commun… Il a voulu tout faire, tout connaître, tout entreprendre, mais vraiment sans fil conducteur… A tel point qu’on le prenait souvent pour un fou, ou tout au moins un demeuré.
Louis Soutter est né à Morges le 4 juin 1871 dans une bonne famille où son père tenait une pharmacie et sa mère était musicienne. Son cousin n’est autre que Charles-Edouard Jeanneret, plus connu sous le nom de Le Corbusier. Il a commencé des études d’ingénieur à Lausanne avant de se lancer dans l’architecture à Genève. Mais l’importance de la musique chez ses parents et les concerts donnés dans leur maison prédomine et, en 1892, il interrompt tout pour se lancer dans une carrière musicale. Le voilà qui se retrouve à Bruxelles devenant élève violoniste au Conservatoire royal. A cette époque, c’est l’Art Nouveau et cela lui ouvre les portes de la littérature, la poésie, la philosophie, le théâtre et surtout les arts plastiques. Et c’est là aussi, en 1894, qu’il a fait la connaissance d’une jeune Américaine, Madge Fursman, chanteuse qui deviendra son épouse.
Va-et-vient et touche-à-tout
Et Louis Soutter ne va pas en rester là. En 1895, il revient s’installer en Suisse tout en faisant venir sa fiancée Madge. Et il y aura Paris en 1897 avant son émigration aux USA à Colorado Spring, la ville natale de sa femme, où il sera enseignant. Le bonheur sera de courte durée et, en 1903, c’est le divorce et l’artiste revient définitivement à Morges. Il ne se confie jamais au sujet de sa vie privée.
En 1907, il devient violoniste dans le futur Orchestre de la Suisse romande. Il se produit aussi à Morges dans de petits ensembles, ce qui le fait fréquenter les salons morgiens où il rencontre Igor Stravinsky, Charles-Ferdinand Ramuz, ou René Morax. Sa vie aux USA lui avait donné le goût du luxe et de l’élégance. Ses dépenses ont rapidement dépassé ses revenus ! Son frère, qui avait repris la pharmacie familiale, en a eu marre de payer ses frasques et le place sous tutelle. En 1923, les autorités communales de Morges le mettent en pension à l’asile de vieillards de Ballaigues. Comme on disait à l’époque, c’était un « hospice destiné aux vieillards et mourants sans revenus » . Et Louis Soutter n’avait que 52 ans!
A Ballaigues, ses tenues, ses excentricités nuisaient à sa réputation. Sa culture tout comme son œuvre furent incomprises. Vraiment, il sortait du lot ! Bon marcheur, il était autorisé à faire de longues sorties, alors il fuguait… Il essayait de gagner sa vie comme artiste musicien en jouant dans des soirées et en donnant des cours de musique. C’est pourtant dans ce contexte un peu « prisonnier » qu’il a produit l’essentiel de son œuvre picturale. Il a produit des milliers de dessins, au crayon ou à la plume. Il remplissait des cahiers avec des esquisses qu’il ne datait jamais. Le Corbusier s’est intéressé à son œuvre, lui fournissait du papier et le faisait mieux connaître. Mais, en 1940, souffrant d’arthrose, l’artiste ne pouvait plus tenir un crayon… Il se mit dès lors à utiliser ses doigts jusqu’à sa mort en février 1942, à l’âge de 71 ans. Tout cela représentant 19 ans de création d’une grande richesse artistique malgré la simplicité des moyens pour y arriver.