Un pour tous, tous pour un
13 décembre 2024 | Texte et photo: Virginie MeisterhansEdition N°3852
La Région poursuit la publication hebdomadaire d’un portrait d’une commune nord-vaudoise. Au travers de l’interview de son syndic, cette page aborde les réussites, les préoccupations, les projets d’une collectivité locale.
Aujourd’hui, place à Christophe Bifrare, syndic de L’Abbaye.
Christophe Bifrare, racontez-nous votre parcours jusqu’à la syndicature.
Je suis né ici, mais je suis d’origine gruyérienne. Mon grand-père, berger, est arrivé ici en avril 1951 avec – comme stipulé sur le procès-verbal du Pont – ses deux chevaux, trois poules, trois cochons et neuf enfants! Professionnellement, à la base je suis mécanicien-électricien. J’ai fait le Tech’ à Yverdon en microtechnique puis un MAS (Master of advanced Studies) et suis maintenant ingénieur-constructeur horloger. Au niveau personnel, je suis marié et nous avons deux filles adolescentes. Quant à mon engagement pour la communauté, j’avais une vingtaine d’années lorsque je me suis inscrit au Parti libéral et je suis aujourd’hui vice-président de la section PLR vallée de Joux. J’ai toujours été hyperactif, je vais là où on me pousse. J’ai participé aux sociétés telles que la Jeunesse campagnarde, le volley, le hockey, la gym, la fanfare, l’Abbaye, et depuis une vingtaine d’années, je fais partie du Cabaret de la Tranchée, un groupe de théâtre-chant amateur. En 2004 j’ai enchaîné avec le Conseil communal, comme une suite logique. J’ai très vite été nommé président de la commission de gestion, président du Conseil, puis municipal. Cela fait maintenant neuf ans que je suis syndic.
Quel aspect du métier de syndic est-il le plus éprouvant, selon vous?
Syndic est une profession qui demande beaucoup de temps, d’énergie et de compétences, à tel point que je me demande si je ne vais pas m’inscrire aux examens de droit de l’Université de Fribourg… en termes de police des constructions ou de droit du bail je suis prêt (rires)! J’aurais préféré être syndic il y a quinze ans, lorsqu’on descendait au carnotzet pour discuter, qu’on se tapait dans la main. Avant d’être à cette place, je ne savais pas ce qu’était un avocat, aujourd’hui j’en ai quatre ! Il n’y a plus que ce que disent la loi et les codes de jurisprudence qui comptent. Citer un cas de 1966 pour justifier une réponse de 2024 et prendre les solutions d’hier pour résoudre les problèmes d’aujourd’hui, c’est s’inventer les problèmes de demain! Le manque de bon sens est l’aspect du travail qui me fatigue.
Vous qui vous êtes porté candidat aux dernières élections cantonales, qu’aimeriez-vous voir changer au niveau cantonal si vous étiez élu ?
Faisant partie d’un groupe de travail sur la révision du futur plan directeur cantonal vaudois, je m’aperçois que le principal problème à l’heure actuelle, c’est que chacun des départements travaille en silo, qu’il n’y a aucune transversalité. Cela nous amène à des situations grotesques et incohérentes. Coluche disait «Le recteur de mon école était enseignant, il vendait de l’intelligence sans en avoir un échantillon sur lui». Lorsque je dois, par exemple, me rendre à Lausanne en voiture, me parquer à La Riponne, pour discuter de problématiques de forêts avec la DGE, où est le bon sens ? Ensuite, je pense que Le Canton s’immisce dans nos affaires de manière insensée, nous sommes devenus des marionnettes. Concernant la mobilité par exemple, une des politiques cantonales qui m’exaspèrent le plus est que la demande doit susciter l’offre. Il faut que les trains soient surchargés pour en ajouter deux. Je reste convaincu que si l’on pouvait améliorer l’offre pendant une certaine période, la demande suivrait. Autre exemple : à force de vouloir faire du tourisme «4 saisons», on oublie que l’hiver reste une des quatre saisons. Il n’y a pas dix ans, des millions ont été investis dans les huit téléskis que compte la Vallée et aujourd’hui on est convaincu que c’est la fin du ski. Sans être climatosceptique, je pense que ça reste à voir… S’agissant encore de notre région, si nous pouvons nous targuer de vivre dans un des plus beaux biotopes du canton de Vaud, nous le devons à nos prédécesseurs. Le revers de la médaille, c’est qu’elle est aussi une des plus protégées du canton. Le Parc naturel régional vaudois est à mon avis notre meilleur allié à l’heure actuelle, l’outil de travail par excellence dont nous disposons pour pouvoir réguler l’équilibre nécessaire à l’afflux du tourisme… pour autant que le Canton nous fasse un peu confiance dans la gestion des choses!
Les habitants se sont prononcés en faveur d’une fusion de communes entre L’Abbaye, Le Chenit et Le Lieu. Comment avez-vous vécu ce long processus qui a divisé ?
Aux yeux de certains, je resterai le «méchant syndic» qui a donné sa commune à la religion. Le sentiment d’appartenance à son vivier, à son territoire est une notion qui m’échappe. La survie des villages ne dépend pas d’une fusion ou de finances mais de la relève, chose qui fait de plus en plus défaut. Autant fusionner tant qu’on tient le couteau par le manche, qu’on peut négocier et être tous à l’aise autour de la table. Je n’aurais pas bataillé aussi ferme, je ne me serais pas investi de la sorte si j’avais eu le moindre doute que c’était la seule et meilleure voie à suivre, et je pense que l’avenir me donnera raison. Le slogan des pro fusion était Un pour tous, tous pour un, il était très bien choisi et cette mise en avant de la solidarité a touché l’électorat.
Vous projetez-vous dans la nouvelle Municipalité ?
Je ne crois pas au destin, pour moi la vie n’est pas toute tracée, elle est une succession de décisions et de choix. Il est encore trop tôt pour me projeter, il peut se passer beaucoup de choses en dix-huit mois. Mais en date d’aujourd’hui, je peux dire que oui, j’ai envie d’en faire partie. Nous avons pris beaucoup de coups dans la campagne et j’ai envie d’apporter ma pierre à l’édifice.