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Un sursis partiel pour apaiser
© Michel Duperrex

Un sursis partiel pour apaiser

24 novembre 2022

Le Tribunal correctionnel de la Broye et du Nord vaudois a condamné hier un comptable qui a détourné 2,3 millions de francs.

Simple en apparence, d’autant plus que les faits étaient admis, la décision du Tribunal correctionnel en ce qui concerne le sursis a sans doute été très difficile à prendre. Car comment assurer la réinsertion d’un homme qui a commencé à rembourser la victime, et qui par ailleurs a la garde de son enfant, sans pourtant que le jugement ne soit interprété comme un cadeau par le plaignant, et au-delà, par l’opinion publique?

Le Tribunal a donné une réponse équilibrée. Reconnu coupable d’abus de confiance, de blanchiment et de faux dans les titres, l’accusé a été condamné à 36 mois de peine privative de liberté, dont 6 mois ferme. Grâce à ce sursis partiel, il pourra purger sa peine sous la forme de semi-liberté, continuer à travailler, et ainsi rembourser la victime à raison de 1500 francs par mois au moins. Une condition au sursis, dont la durée a été fixée au maximum de 5 ans. Si elle a dépassé les réquisitions du procureur, la cour en a tout de même suivi l’esprit.

Les faits sont on ne peut plus clairs. Victime et auteur se sont rencontrés dans un bar yverdonnois, ils ont sympathisé. L’artisan, accaparé par son métier, a confié toute l’administration de son entreprise et de ses affaires personnelles au comptable. Même plus que ça: jouant sur l’amitié et la confiance accordée, l’homme de chiffres a obtenu tous ses codes d’accès bancaires. Entre 2010 et 2018, il a détourné la bagatelle de 2,3 millions de francs.
Sur le plan civil, les parties sont parvenues à un accord: l’accusé devra rembourser 2,2 millions de francs portant 5% d’intérêt l’an. A moins d’un miracle, il n’y parviendra jamais. A raison de 1500 francs mois, le montant qu’il vire actuellement, il lui faudrait 120 ans pour éteindre la dette… sans les intérêts.

Lorsque ses agissements ont été découverts, début 2018, le comptable a immédiatement admis les faits. «Il m’a ruiné, il a détruit ma vie!» a expliqué le plaignant à l’audience. Pire, ajoute son avocat, Me Rocco Mauri: «Mon client doit aujourd’hui s’acquitter d’impôts – plusieurs centaines de milliers de francs – sur de l’argent qu’on lui a volé!» Et il a dû dépenser quelque 100 000 francs pour faire rétablir la comptabilité.

Le stratagème de l’auteur était simple: il virait les montants des comptes de la victime sur les siens et ceux de ses sociétés. Qu’il prélevait ensuite. Pour quoi faire?

A cette question du président, il peine encore à répondre: «J’avais des employés, des clients qui ne payaient pas. J’ai bouché un trou avec un autre trou. J’aurais dû mettre la clé sous le paillasson. A un moment donné, j’ai perdu pied. Je ne savais plus comment m’en sortir. C’était une fuite en avant.»

Cette explication ne satisfait que moyennement l’avocat du plaignant. Et si une convention a été passée pour régler le litige civil, il subsiste tout de même une certaine amertume. Car la remise d’une moto et de deux montres de valeur, objets acquis avec l’argent détourné, constitue un remboursement.

Et l’enquête n’a pas permis d’établir la destination de quelque 854 000 francs. L’accusé jure qu’il n’a pas de bas de laine. La victime peine à le croire.

Représentant le parquet financier, le procureur Eric Reynaud a résumé cette affaire avec une phrase de Corneille dans le Cid: «Le trop de confiance attire le danger.»

«Ce mandat a constitué une aubaine pour quelqu’un qui avait des ambitions d’expansion», a expliqué le procureur. S’il a abandonné la gestion déloyale aggravée, le représentant du Ministère public considère que l’abus de confiance, le faux dans les titres et le blanchiment – l’accusé a fait transiter l’argent par des sociétés qu’il contrôlait – sont réalisés. Et de requérir une peine de 24 mois avec sursis, pour tenir compte des éléments à décharge et des efforts faits par l’accusé pour rembourser.

Avocat de l’accusé, Me Baptiste Geiger s’est enfilé dans cette brèche, contestant toutefois le blanchiment.

«Rien ne pourra atténuer la douleur et la colère de mon client», a plaidé Me Mauri, conseil du plaignant. Mais ce jugement, qui prévoit une partie de peine ferme, y contribuera peut-être.

Isidore Raposo