Logo

Un tueur en série venu de Pologne

8 novembre 2013

Un champignon minuscule cause des ravages dans les populations de frênes. Dans un délai de dix ans, 99% des arbres de la région auront succombé à l’assaut fongique.

L’inspecteur forestier Pierre Cherbuin pose non loin d’un frêne contaminé.

Dernière séance du Conseil de Chavornay. Lors des communications de la Municipalité, Guy Muller prend brièvement la parole pour évoquer l’invasion fongique à laquelle succombent les frênes de la Commune. Répondant au doux nom de Chalara fraxinea, le champignon responsable de cette hécatombe est bien décidé à montrer de quel bois il se chauffe depuis son arrivée dans nos contrées.

«Si l’on se réfère aux dégâts causés en France, en Allemagne ou en Pologne, 99% des frênes de l’arrondissement seront morts dans dix ans», indique Pierre Cherbuin, directeur de l’inspection des forêts pour le 8e arrondissement. Pour se rendre compte des dommages provoqués par Chalara fraxinea, nul besoin de s’éloigner de beaucoup du lieu de travail du spécialiste. Au bord de la route, un spécimen de quelques années arbore d’abondantes grappes de graines toutes sèches, tandis que, non loin de là, Pierre Cherbuin montre trois jeunes pousses, l’une d’entre elles étant totalement desséchée sous l’action du champignon.

Plus proche de Cheseaux-Noréaz, un frêne massif est également contaminé. «Depuis cette année, les arbres adultes, d’une circonférence de 30 à 120 centimètres de diamètres et dont l’âge va de 40 à 120 ans, présentent des traces de maladie », précise l’expert.

Le champignon s’attaque aux frênes à tous les stades de leur développement.

Selon les observations réalisées à ce jour, les champignons attaquent les arbres à partir de la dernière pousse de l’année et/ou du tronc au ras du sol avant de se propager dans sa totalité. L’éradication de l’épidémie est pour ainsi dire impossible car les spores -les organes de reproduction du parasite-, sont véhiculées par le vent à partir des feuilles mortes jonchant le tapis forestier.

Pierre Cherbuin ne cache pas que la situation est «préoccupante», néanmoins aucune mesure d’urgence ne va être prise. «Nous allons laisser faire la nature et espérer que les 1 à 3% de frênes résistants transmettent leur immunité à leur descendance », déclare-t-il.

Pour l’heure, les spécialistes encouragent les bûcherons à ne pas planter de frênes dans leurs actions d’entretien de la forêt et portent une attention particulière aux spécimen poussant dans des endroits à enjeu sécuritaire afin de procéder, le cas échéant, à leur abattage.

 

Les experts craignent la disparition de l’essence sous l’impulsion du champignon destructeur

«Cette perte serait alarmante pour la biodiversité»

«Cette invasion est comparable à la graphiose de l’orme, qui a entraîné la quasi disparition de cette espèce». Chercheur auprès de l’Institut de pathologie forestière de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), Valentin Queloz ne cache pas que la prolifération du parasite préoccupe le milieu scientifique au vu de la faible résistance du frêne à son assaillant.

«Pour l’économique, la disparition du frêne dans nos forêts n’aurait peut-être pas forcément un impact significatif, mais, du point de vue de la biodiversité, il s’agirait de la perte d’une essence importante, ce qui est alarmant », commente-t-il.

Dans le premier domaine cité, Jean-François Rime, président d’Industrie du bois suisse, affirme que, le frêne ayant une importance marginale dans le milieu des scieries, où d’autres essences comme le hêtre dominent en ce qui concerne les feuillus, son absence n’aurait donc «aucune influence».

Valentin Queloz se penche depuis 2008 sur Chalara fraxinea, un champignon présent aujourd’hui dans presque toute la Suisse. «Les Alpes ont eu un effet de barrage, mais les premiers symptômes de la maladie ont été observés en Valais», indique le spécialiste.

Des raisons d’espérer

Malgré les ravages constatés sur plusieurs variétés comme le frêne commun ou le frêne américain, le frêne à fleurs semble présenter une résistance naturelle à Chalara fraxinea. Une piste pour enrayer l’hécatombe serait donc de procéder à l’hybridation de frênes. En outre, les frênes asiatiques sont quant à eux résistants à la maladie.

Valentin Queloz demande aux forestiers de ne pas couper trop rapidement les arbres rongés par le champignon, afin de les laisser produire des graines. Leurs rejetons pourraient être éventuellement résistants.

«Pour l’instant, nous ne pouvons pas lutter contre ce parasite. Il est inutile de couper les frênes, car les spores du champignon sont produites sur les feuilles tombées au sol», indique-t-il.

Ludovic Pillonel