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Une escale aux saveurs du Brésil
Gonçala Maria Lopes (gauche) et sa fille Isabel Fagundes (droite) présentent leur spécialité brésilienne : le picanha.

Une escale aux saveurs du Brésil

26 janvier 2022

L’Hôtel de Ville est, depuis bientôt trois ans, aux mains d’une famille d’origine brésilienne, qui concilie sur sa carte des plats de ses deux patries. Et ce, pour le bonheur de tous.

Le défi a été long et semé d’embûches et pour cause, si le processus de reprise d’un restaurant est déjà complexe à l’origine, il l’est d’autant plus lorsqu’on le cumule avec l’arrivée d’une pandémie d’une part et les enjeux de l’intégration culturelle de l’autre. Mais la détermination et la passion qui se lisent sur les visages de Gonçala Lopes et d’Isabel Fagundes expliquent à elles seules que le duo mère-fille ait réussi à surmonter cette épreuve. Et convaincre dans un premier temps leur Commune, puis leur clientèle.Car tenir un restaurant n’était initialement pas au programme, et celui-ci encore moins.

Après s’être mariée et avoir quitté le Brésil pour le Portugal, puis la Suisse, Gonçala Lopes a travaillé à divers échelons de la restauration et de l’alimentation, de celui de serveuse à celui de tenancière d’un tea-room en passant par celui de vendeuse, avant de chercher à ouvrir un food truck. Son besoin de redevenir indépendante a été motivé par une frustration à la fois personnelle et morale.

«Au Portugal, j’ai tenu un tea-room, et en arrivant en Suisse, j’avais plutôt envie de travailler pour quelqu’un. Mais après cinq ans dans une boulangerie où tout était systématique, je me suis rendu compte que si je voulais grandir et évoluer, je ne pouvais pas rester.»

La jeune grand-maman est également marquée par des problèmes de gaspillage conditionné: «Je viens d’une famille qui n’était pas riche, dans laquelle on avait vraiment besoin de faire attention aux choses, où on ne pouvait pas jeter. Là où je travaillais, cela me faisait mal au cœur de voir des gens jeter des boîtes de conserve ou des légumes parce qu’ils étaient un peu abîmés en surface.» À l’Hôtel de Ville de Molondin, à présent, rien ne se perd et tout se transforme. «Dans un restaurant comme le nôtre, si je ne faisais pas ça, ça ne marcherait pas. Je réutilise notamment les bouts de légumes pour la vinaigrette. Ce n’est qu’un exemple, mais je réutilise tout ce qui peut l’être.»

L’idée du food truck est finalement mise de côté le jour où elle tombe sur l’avis de la Commune de Molondin, qui recherche un nouveau tenancier. «J’arrive vers ma fille, je lui montre l’annonce en lui disant Isa, regarde! On n’y croyait pas vraiment, étant immigrantes et sans réelle expérience dans la restauration professionnelle – je cuisinais seulement pour des amis ou des invités –, mais elle m’a poussée en me disant: Qui ne tente rien n’a rien!»

Ni une ni deux, les dés sont jetés et, après une proposition de menu qui séduit la Commune, les voilà à la barre. Mais cette étape n’est que la première d’une longue série pour la petite famille. Après avoir donné leur avis pour les rénovations et accueilli plus d’une centaine de personnes lors des portes ouvertes, la première année d’ouverture met les deux femmes sens dessus dessous. «C’était la folie», racontent-elles. «Je n’avais jamais cuisiné pour autant de monde, ajoute Gonçala. A midi, les gens sont stressés parce qu’ils n’ont pas le temps, nous avons donc dû inventer des plats qui pouvaient être faits très rapidement, c’était un vrai défi.»
Isabel Fagundes, ancienne hôtesse de l’air passionnée par l’hôtellerie, gère en outre les cinq chambres d’hôte attelées au restaurant. Le surmenage frappe tellement fort la jeune maman qu’elle finira par être hospitalisée.

Pour couronner leurs peines, vient le temps de la pandémie et ce qui s’ensuit pour la branche de la restauration. Les tenancières souffrent particulièrement du deuxième confinement, mais en retirent tout de même des choses positives: des innovations, comme les hamburgers à l’emporter ou «la boule», petite serre chauffée qui trône sur la terrasse. Mais également du soutien humain. «Les gens ici sont incroyables, ils voulaient vraiment nous aider et nous ont soutenues. Pendant un certain temps, nous avions presque des journées normales rien qu’avec les commandes.»

Au bout du compte, la palette d’expériences de vie relatées par les deux femmes autour de leur restaurant ne peut qu’émerveiller. Culture, famille, société et business se sont entremêlés entre ces murs, offrant des rires comme des larmes. «Il y a eu des moments où je me suis simplement dit: j’arrête là. La restauration, c’est vraiment dur. Mais même si un jour, à cause des conditions, on doit abandonner le navire, au moins, ça sera la tête haute. Pour moi, c’est une magnifique victoire», conclut Gonçala.

Avec ses parois et son intérieur en bois lustré, l’Hôtel de Ville de Molondin ressemble ainsi à ses tenancières: chaleureux, mais bien solide sur ses appuis.

Traditions locales et exotiques

 

Seules pour la cuisine et le service, les deux femmes doivent également s’adapter à la culture et aux habitudes culinaires locales.

«Les gens nous posent plein de questions du genre: Est-ce que vous allez faire ci, travailler avec ça? Dès l’automne, les clients ont commencé à nous parler de la chasse, mais nous qui sommes brésiliennes d’origine, on n’en avait jamais entendu parler! Ça me faisait peur de me lancer là-dedans, je voyais ça comme quelque chose d’hyper complexe à cuisiner, on en avait fait une bête énorme. Au final, c’est maintenant le plat que je préfère cuisiner. Je fais mes spätzli maison, comme j’ai appris à les faire auprès de mon ex-belle-mère. Malgré le stress à la cuisine, je veux que les gens ressentent le plaisir que je prends à cuisiner.»

En parallèle à cet effort d’adaptation, il y a aussi la volonté de faire découvrir une partie de leur culture à travers les plats traditionnels brésiliens comme la picanha, à base de bœuf grillé. «Nous venons d’un pays où les gens sont fous de picanha. On sait que ça fait toujours plaisir là-bas, alors on pensait que ça le ferait aussi ici. On voulait amener cette picanha au village. Et on a réussi, maintenant on a des gens qui viennent exprès pour ça!»

Carline Estermann