Accusée d’abus sexuels par son petit-fils, une septuagénaire comparaît devant le Tribunal.
«Il est clair que le plaignant a subi un grave traumatisme. Mais le Ministère public n’a pas la conviction que la prévenue en soit l’auteure», a déclaré hier Clea Luy, procureure ad interim au Ministère public du Nord vaudois, juste avant d’abandonner l’accusation et de demander l’acquittement de l’accusée.
L’affaire est pour le moins atypique. Le plaignant, un homme de 33 ans, s’est en effet présenté sous bonne escorte. Il est détenu dans le cadre d’accusations d’agressions. Ces comportements, selon la thérapeute entendue par le Tribunal correctionnel de la Broye et du Nord vaudois, auraient justement pour origine le traumatisme subi durant son enfance.
Ce trauma aurait pour cause les abus sexuels commis par sa grande-mère, une septuagénaire qui ne s’est que peu exprimée durant l’audience. Elle a été surprise lors de sa première audition par la police en 2019 – elle avait pensé à un échange de propos peu avenants avec un automobiliste –, découvrant les graves accusations portées contre elle par son petit-fils.
Deux versions et deux clans
Classée dans un premier temps, la plainte a été instruite à la suite d’une décision du Tribunal cantonal. Le plaignant lui reproche d’avoir abusé sexuellement de lui à de nombreuses reprises alors qu’il était âgé de 6 à 12 ans, et qu’il séjournait chez elle.
L’accusée a systématiquement rejeté les reproches. Et elle les a contestés avec une certaine émotion devant le Tribunal correctionnel de la Broye et du Nord vaudois, présidé par Caroline Fauquex-Gerber, qui l’a rendue attentive à l’importance de la reconnaissance des faits pour une victime. «Je suis désolée pour lui. Je n’ai rien fait et je n’ai rien à me reprocher. Je suis triste de tout ce qui a été fait contre moi», a déclaré l’accusée.
Il faut dire que cette affaire s’inscrit dans un contexte familial tendu, dans lequel les secrets de famille ont perduré. Ainsi, lorsque le plaignant, à l’occasion de la levée de l’amnésie traumatique, a décidé de porter plainte, son père lui a confié qu’il avait lui-même été abusé durant l’enfance et qu’adolescent – il avait 15 ou 16 ans – il avait entretenu des relations sexuelles avec l’accusée. On évitera d’entrer dans le détail, mais il semble que la pratique d’une forme de libertinage était courante, même en présence des enfants.
L’accusée ne conteste pas cette relation avec un jeune homme qui était l’enfant d’amis, et dont elle pourrait être la maman, mais assure qu’il avait atteint la majorité sexuelle, même si elle ne l’a pas questionné sur son âge. Et puis cela s’est passé à la sortie d’un Comptoir où tout le monde avait un peu bu.
Aujourd’hui, la fille de l’accusée et son ex-mari, parents du plaignant, soutiennent leur fils et font face au reste de la famille. La maman du plaignant, persuadée qu’elle n’était pas désirée, est convaincue que sa mère a voulu la faire payer…
Une face plus noire
Les proches et amis restés fidèles à l’accusée parlent, à l’instar de son avocate, Me Tracy Salamin, de «la meilleure des grands-mères». Le plaignant lui en dresse un portrait sombre: «Rien ne me surprend. Cela fait depuis l’âge de raison que j’entends ces inepties. C’est de la perversion et de la manipulation.»
Et d’assurer que ce qui le met en colère, c’est qu’on considère que les parties de camping et de bricolage sont incompatibles avec les abus sexuels. Il se dit libéré du poids du secret: «J’essaie de trouver des choses pour me libérer l’esprit de cette atmosphère nauséabonde. Aujourd’hui, je suis libre de tout cela.» Mais il peine à contenir ses émotions, au point que la présidente l’a admonesté à plusieurs reprises.
Pour Me Anne-Claire Boudry, conseil du plaignant, ce dossier a des aspects d’ironie tragique. Il y a d’un côté des «faits atroces qui détruisent, commis par une personne de confiance» et de l’autre son client qui comparaît entravé. «Ne vous fiez pas aux apparences!», a-t-elle averti.
Et de développer sur le thème de la crédibilité. Certes, des contradictions apparaissent dans le dossier, mais il s’agit de faits remontant à plus de 20 ans revenus à l’occasion de flashbacks sensoriels.
C’est cette levée de l’amnésie qui a été expliquée par la thérapeute du plaignant. Cette psychologue est convaincue que l’hétéroagressivité de son patient trouve son origine dans ce passé traumatique. Et de rappeler à la cour qu’un femme sur cinq et un homme sur sept ont, selon les statistiques, subi des abus sexuels durant l’enfance.
La psychologue affirme que ces faits se produisent le plus souvent dans le cadre large de la famille. Son diagnostic diffère de celui des experts – deux expertises figurent au dossier –, mais il s’agit de différences de qualification scientifiques.
La thérapeute assure que les abus subis expliquent les comportements, en particulier les agressions commises par le plaignant. Celui-ci souffre d’anxiété, de stress, qui conduisent à une dysrégulation émotionnelle. Pratiquement, lorsqu’une personne entre dans son espace – autrement dit vient trop près de lui –, il a peur et réagit de manière disproportionnée.
L’avocate de l’accusée, Me Salamin, s’est fondée sur le dossier pour insister sur les contradictions de l’accusé, soutenant qu’il déduit plus qu’il ne se souvient. Elle admet bien évidemment qu’il souffre, mais ajoute que ce n’est pas à cause de sa cliente.
Pourquoi accuser sa grand-mère vingt ans après les faits? Me Salamin s’en prend un peu à la thérapeute qui aurait dû faire preuve de retenue. Et de relever que le plaignant est capable de mentir et accuser à tort. Et d’asséner qu’il transmet le ressentiment de sa mère envers sa grand-mère: «Cette rancœur a imprégné le plaignant.»
L’intime conviction
Face à deux versions de faits qui se seraient produits dans un huis-clos, sans témoin, et sans preuves matérielles, le Tribunal va devoir se forger une intime conviction. Car au terme d’une longue audience, aucun élément d’ordre matériel ou déterminant n’est venu bouleverser l’acte d’accusation. En résumé, c’est la parole de l’un contre celle de l’autre.
Le Tribunal rendra son verdict la semaine prochaine.