Logo
Une maladie, mille parcours
La Docteure Dorota Teterycz, médecin-cheffe au sein du service de chirurgie des EHNV et responsable du Centre yverdonnois d’obésité et de chirurgie bariatrique, regrette que les mentalités ne changent pas assez vite sur le sujet. © Michel Duperrex

Une maladie, mille parcours

25 octobre 2021

Santé – Le Centre yverdonnois d’obésité et de chirurgie bariatrique (CYOCB) soufflera bientôt dix bougies. L’occasion de revenir sur le parcours de deux «by-passés», qui estiment que cette opération leur a sauvé la vie.

L’obésité, cette maladie que l’on ne veut pas trop voir. Un déni qui frappe souvent les malades eux-mêmes, comme leurs proches. Et pourtant, le surpoids et l’obésité sont devenus une épidémie mondiale, et la population obèse pourrait doubler entre la situation de 2012 et 2040 dans le canton de Vaud.

Depuis son ouverture en 2012, près de 400 patients ont été opérés dans le CYOCB des Établissements hospitaliers du Nord vaudois (EHNV). En moyenne, ils ont perdu 75% de leur excès de poids. Mais le point crucial est la perte sur le long terme. Là aussi, les résultats du Centre son bons, puisque 79% des patients ayant subi une intervention chirurgicale ont un poids égal ou inférieur aux prévisions cinq ans après leur opération. Deux «by-passés», une expression qu’ils utilisent eux-mêmes, ont accepté de témoigner, mettant en évidence le fait que tous les parcours peuvent mener à cette maladie.


Christophe Schowing était conscient des risques avant de se lancer. © Michel Duperrex

«Avec le Covid, peut-être que je n’aurais plus été là…»

Christophe Schowing, 56 ans, d’Yverdon s’est fait opéré en 2018.

Diabète, hypertension, goutte… Dire que l’obésité de Christophe Schowing lui a coûté au niveau de sa santé relèverait de l’euphémisme. Et comme c’est encore trop souvent le cas (lire ci-dessous), son médecin n’a pas été d’une grande aide pour combattre cette maladie. «Mon médecin m’a dit: Faut perdre du poids! Sauf qu’aucun régime n’a jamais fonctionné pour moi.» Pesant 130 kilos, il décide de s’intéresser au by-pass, sur conseil d’une amie. «Le parcours au CYOCB se fait vraiment en partenariat avec le Centre. On nous présente des personnes qui ont fait un by-pass, on discute beaucoup avec les spécialistes aussi. On nous donne les clés qu’on devra utiliser une fois l’opération effectuée.»

Un épisode douloureux à affronter

L’accompagnement psychologique fourni par le Centre a été primordial pour Christophe Schowing. «Il y a eu tout un travail pour savoir d’où venait le problème, prendre conscience de ce qui s’était passé. Quand j’ai mis le doigt dessus, j’ai tout relâché.» Un épisode très douloureux, mais que le cinquantenaire ose désormais aborder sans honte, faisant preuve d’un grand courage. «À l’âge de dix ans, j’ai été l’objet sexuel de deux grands dans un internat. J’étais une crevette à l’époque et je me suis protéger en mangeant. Me libérer de ça m’a permis de commencer à prendre soin de moi.»

L’opération lui permet d’atteindre le poids de 84 kilos. Mais une telle intervention demeure risquée et Christophe Schowing doit faire face à des complications. «J’ai fait deux hernies à la suite de l’opération, ce qui a donc nécessité deux interventions supplémentaires. Mais dans les cours préparatoires, on nous dit tout. Je connaissais les risques et le bénéfice est nettement supérieur aux risques.»

Aujourd’hui, l’Yverdonnois revit: «Au début, il y a une frustration: deux cuillères à soupe et on n’a plus faim! Les vieux démons ne nous lâchent pas. Mais désormais, j’ai repris goût à la vie, tout simplement. Si j’ai un regret, c’est de ne pas l’avoir fait plus tôt, mais je n’étais probablement pas prêt. Si j’ai sauté le pas, c’est aussi parce que j’espère devenir grand-père un jour. Avec le Covid, peut-être que je n’aurais plus été là…»


Pour Murielle Barraud, cette opération a permis de profiter à nouveau des petits plaisirs de la vie. © Michel Duperrex

«J’ai fait le yoyo pendant dix-huit ans à cause des régimes»

Murielle Barraud, 47 ans, d’Yverdon, s’est faite opérer en 2017.

Murielle Barraud est cash. Contrairement à de nombreux autres malades qui ont subi des traumatismes psychologiques avant leur prise de poids, la mère de famille n’avait pas de souci particulier. «Non, je n’ai pas eu de gros problème dans ma vie. Le jour où j’ai eu ma fille, je pesais 82 kilos, et je voulais simplement qu’elle ait une maman parfaite, explique-t-elle. Alors je me suis mise à faire tout un tas de régimes. Pendant dix-huit ans, j’ai fait le yo-yo. Le problème, c’est qu’à chaque fois, je reprenais plus de poids, jusqu’à atteindre 115 kilos.»

Celle qui pèse désormais 64 kilos, tient à mettre en garde contre l’effet euphorisant de ces méthodes de perte de poids. «Le régime en lui-même n’est pas la partie difficile, relève Murielle Barraud. On mincit et c’est génial, au contraire! Mais dès qu’on commence à reprendre, là c’est très dur.»

«Je l’ai fait pour ma santé»

Constatant les dangers pour son intégrité physique, elle décide d’intégrer le CYOCB. «C’est vraiment pour ma santé que j’ai fait cette opération, Même avec mon surpoids, j’étais relativement bien dans ma vie. J’étais acceptée dans ma famille et mon mari ne me faisait pas remarquer mes kilos en trop. Je me suis d’abord inscrite pour voir comment ça se passait. Et on est tellement bien entourés, avec des spécialistes de divers disciplines, que j’ai décidé d’aller jusqu’au bout.»

Mais l’opération ne doit pas être prise à la légère et il faut être prêt. C’est d’ailleurs pour cela qu’un long suivi est obligatoire avant de passer au bloc. «Pendant une année, je n’ai plus ressenti la faim. Si on mange trop gras, on est tout de suite rappelés à l’ordre par notre corps. Et on continue le suivi durant cinq ans, notamment avec une diététicienne.»

Si les désagréments existent, les bénéfices sont, eux aussi, rapidement là. À commencer par la perte de poids. «J’ai tout perdu en une année environ, détaille Murielle Barraud. Et ça peut paraître futile, mais rien que de pouvoir reporter de belles bottes, ça m’a fait un bien fou. C’était totalement impossible avant, et acheter des habits était une horreur. Pareil pour le sport… impossible par exemple d’enfiler des chaussures de ski.»


«Les mentalités doivent changer, même chez les médecins»

«Après ces témoignages, je n’ai rien à ajouter». Il est vrai qu’après avoir écouté les interviews poignants d’Aurélie et d’Olivier, disponible sur Youtube, il est difficile d’enchaîner pour la Docteure Dorota Teterycz, médecin-cheffe au sein du service de chirurgie des EHNV et responsable du Centre yverdonnois d’obésité et de chirurgie bariatrique (CYOCB). L’écoute du patient, justement, est l’une des clés développées par le Centre, dont Dorota Teterycz est à la tête depuis 2017. «L’avantage, c’est qu’avec une telle structure on a un concentré de spécialistes. On est tous intéressés par l’obésité et on parle donc tous la même langue, entre guillemets.»

La pose d’un by-pass est une opération qui réduit drastiquement le volume de l’estomac. Elle demande une longue préparation, d’au moins six à sept mois sans contre-indications, et est prise en charge par l’assurance si le Centre est reconnu (ce qui est évidemment le cas du CYOCB). Cette méthode est la plus utilisée aujourd’hui par le Centre, mais ce n’est pas la seule option. «Si une personne ne peut pas ou ne veut pas se faire opérer, notre porte est quand même ouverte, relève la médecin-cheffe. C’est une possibilité qui attire de plus en plus de monde, il y a d’ailleurs une liste d’attente pour ce traitement en ce moment. On voit que les patients sont toujours plus au courant des options, ils se renseignent mieux et savent ce qu’ils veulent.»

Aussi utile avant d’atteindre l’obésité

Autre particularité du Centre, il est aussi possible de s’y rendre avant d’atteindre le point de non-retour. «Nous collaborons notamment avec une diététicienne, ce qui est très utile lorsque nous recevons des personnes en surpoids, qui ne sont pas encore obèses, mais qui doivent réguler leur poids de façon à prévenir l’obésité.»

Si le regard de la population sur cette maladie change gentiment, le processus n’est encore pas complètement arrivé à son terme. Ce qui est aussi vrai chez les médecins. «Les mentalités doivent encore évoluer au sujet de l’obésité, même au sein des médecins traitants. On reçoit encore trop souvent des patients qui ont obtenu comme conseil de leur médecin de faire un régime ou de bouger plus… Aussi, on remarque que certains mettent en garde contre les potentielles complications en cas d’intervention chirurgicale. Mais la différence c’est qu’avec une chirurgie, on peut avoir des complications, alors qu’en ne traitant pas l’obésité on est certain d’en avoir.»