Une page se tourne
5 février 2025 | Textes: Jérôme Christen | Photo: Michel DuperrexEdition N°3885
La boulangerie Lauria à Yvonand a fermé ses portes en décembre dernier après 40 ans d’activité. La pandémie, la hausse du coût de l’énergie et des matières premières ont fini par «couler» des artisans appréciés. Grégory et Kristel n’ont pas mis la clé sous la porte de gaieté de cœur.
La boulangerie Lauria d’Yvonand a ouvert ses portes en 1985 sous la houlette d’un jeune couple qui avait commencé son activité à Vevey. «Nos parents cherchaient quelque chose de plus grand. Leur choix s’est porté sur Yvonand en raison de la proximité des écoles, du développement des constructions et du cadre paradisiaque au bord du lac. Les locaux voisins étaient d’abord occupés par une épicerie avant qu’ils ne la transforment en 1998 en salon de thé», expliquent Grégory et Kristel Lauria.
Tâches idéalement réparties
Après un début d’apprentissage d’automaticien au Centre professionnel du Nord vaudois, dans lequel il ne s’épanouissait pas, Grégory Lauria a été embauché par son père Vierino comme apprenti boulanger avec qui il a travaillé durant treize ans avant qu’il ne prenne sa retraite dans le Sud de la France. C’est à ce moment-là que Grégory Lauria a approché sa sœur pour savoir si elle était motivée à reprendre la boulangerie avec lui. Il a bien fait d’insister puisque après une première réponse négative, elle a fini par accepter, alors dans une situation professionnelle qui ne lui plaisait plus vraiment.
Les tâches ont pu être idéalement réparties, Grégory à la production et Kristel à l’administratif : formée dans le secteur hôtelier, et la restauration, elle disposait de plusieurs atouts avec notamment une formation comptable et un certificat en ressources humaines.
Le choc de la pandémie
Le duo semblait partir gagnant avec un excellent départ. Mais il a été brutalement interrompu au bout de deux mois par la pandémie: «Alors qu’on cartonnait, ça nous a coupé les jambes. Puis après le retour à la normale, ce fut un nouveau coup du sort. Au moment de l’ouverture de la terrasse, des inondations ont frappé Yvonand juste avant l’été. La saison touristique était vitale pour nous, elle nous amenait les clients des deux campings, les plaisanciers, nombre de Suisses allemands qui apprécient les viennoiseries. Tous ont dû partir», raconte Kristel Lauria avec encore une pointe d’amertume.
Cumul des facteurs de perte
Dans la foulée, se sont ajoutées l’augmentation conséquente du prix de l’électricité et celle des matières premières à la suite de la guerre en Ukraine. «Dans le secteur de la boulangerie, il existe des tarifs recommandés adaptés aux coûts de production. Mais ce qui peut être admis à Lausanne n’est pas applicable dans un village tel que le nôtre. En suivant ces tarifs, nous aurions été boycottés. Malgré des hausses modérées, nous avons quand même perdu des clients. Mais vendre moins cher, c’était vendre à perte», explique Grégory Lauria.
C’est donc avec une certaine fatalité que les Lauria ont dû fermer boutique. Nous avions au départ de beaux projets, comme le développement de notre entreprise à Yverdon où nous avions un local de vente depuis quelques années déjà. «Au lieu d’y développer notre activité, nous avons au contraire dû fermer ce site en mai 2024. C’est la nécessité de rembourser le prêt Covid qui nous a achevés. J’ai vu venir le début de la fin, il y a deux ans déjà», explique Kristel Lauria. «Nous avons alors essayé de revendre notre fonds de commerce, mais cela n’a jamais abouti. Notre laboratoire est aux normes et pourrait servir à un nouveau boulanger. C’est dommage de perdre la fabrication de produits artisanaux, entièrement faits maison, mais il faudrait être propriétaire. Il devient quasi impossible de vivre de ce métier en tant que locataire», conclut son frère.
Les bons souvenirs de Kristel et Gregory
«Pendant ces cinq ans, nous avons eu des employés formidables, la bonne humeur a toujours été de mise, même s’il y a eu des jours plus difficiles que d’autres. Cette fermeture génère beaucoup d’émotion, car la boulangerie fait partie de notre histoire. L’appartement familial était situé au-dessus. Tous les matins les odeurs de croissants montaient dans nos chambres nous chatouiller les narines. Nous avons également de beaux souvenirs avec de fidèles clients qui nous ont connus hauts comme trois pommes. La boulangerie a formé de nombreux apprentis. Notre papa a également aidé son ancien employé Eric Vuissoud à monter son affaire à Sainte-Croix, lequel s’est ensuite étendu à Fleurier puis a ouvert une antenne à Yvonand dans le nouveau quartier des Griottes. Ce n’était pas une concurrence. Nos clients nous sont restés fidèles.»
Situation stable
Yves Girard, secrétaire général de l’association des Artisans boulangers-pâtissiers vaudois relève que les boulangers qui étaient déjà un peu fragiles financièrement se retrouvent dans des situations inextricables avec l’arrivée du remboursement des prêts Covid. Depuis 2023, des commerces ouvrent, d’autres ferment… La situation est plutôt stable, mais les marges sont très faibles et la rentabilité difficile à atteindre.