Le Tribunal cantonal a cassé une décision de remise en état de la Direction générale du territoire et du logement (DGTL).
Réalisée il y a près d’une vingtaine d’années, une tranchée filtrante, destinée à protéger le haut du quartier du Creux-de-Rave, occupe la Cour de droit administratif et public (CDAP) du Tribunal cantonal. Sollicitée par le propriétaire de la parcelle incriminée, qui est en zone agricole, la DGTL a exigé la remise en état. La Cour cantonale à annulé sa décision et lui enjoint d’en prendre une nouvelle, après avoir procédé à une pesée d’intérêts.
Et des intérêts en présence, il y en a. Ne serait-ce que ceux des copropriétaires du lotissement « Les Fleurs-de-Lys » à éviter que leurs locaux ne soient inondés lors de précipitations ou orages importants.
En effet, depuis la création de cette tranchée filtrante et d’une petite digue, le lotissement est préservé. Il n’empêche que cette construction n’a pas sa place, selon la loi, en zone agricole. Dans l’énoncé des faits, les juges évoquent une aire de 1000 m2 de terrain ainsi soustrait à l’inventaire cantonal des surfaces d’assolement.
La situation était connue
La parcelle incriminée a une surface totale de 9524 m2. Elle est cultivée par un agriculteur qui l’a acquise au printemps 2011. En connaissance de cause selon la procédure, autrement dit, il était au courant de l’existence de cette construction réalisée en 2007.
Le propriétaire de la parcelle est à l’origine de la procédure en cours. En effet, en décembre 2012, il a écrit à ce qui était alors le Service du développement territorial (SDT), renommé depuis DGTL, et à la Municipalité d’Orbe, expliquant que les membres de la copropriété voisine ont fait exécuter divers travaux sur sa parcelle (tranchées avec plusieurs centaines de mètres cubes de gravier et digue) sans autorisation ni enquête préalable. Et de se plaindre de la soustraction de quelque 2000 m2 à l’exploitation agricole. Il demandait aux deux autorités d’ordonner la remise en état.
En janvier 2013, la Municipalité d’Orbe réagissait en relevant que, s’agissant de la zone agricole, l’autorisation aurait dû être demandée au Canton (DGTL). Et d’ajouter, à l’intention de l’avocat du propriétaire : « On peut légitimement penser qu’à la signature de l’achat de cette parcelle devant notaire, votre client était en parfaite connaissance de l’état du terrain dont il s’est porté acquéreur. »
Effet boomerang
Des discussions ont eu lieu entre les parties, mais elles n’ont pas permis d’aboutir. Et en insistant, le propriétaire de la parcelle agricole a déclenché une procédure dont il pourrait être la première victime.
En effet, en 2017, le SDT avertissait son avocat qu’une éventuelle décision serait dirigée contre son client, et non pas contre le promoteur et les copropriétaires du plan de quartier du Creux-de-Rave.
Et si, en rendant une décision en 2022, la DGTL a mis tout le monde dans le même paquet – propriétaires anciens et nouveau de la parcelle agricole, copropriétaires du lotissement et Commune d’Orbe – c’est bien le propriétaire actuel qui pourrait, si la procédure se poursuivait, se retrouver aux premières loges, charge à lui ensuite d’attaquer les autres parties au civil.
La CDAP ayant donné raison à tous les recourants, la décision de remise en état de la DGTL est cassée. Un nouveau temps s’ouvre pour la négociation.
Un barrage contre les inondations
Les eaux drainées par cette parcelle agricole en pente direction nord, soit vers la copropriété des Fleurs-de-Lys, sont à l’origine de l’inondation des sous-sols. Afin de régler ce problème latent, les travaux aujourd’hui contestés par le propriétaire de la parcelle agricole, et par la DGTL, ont été réalisés.
Une facture émise par une entreprise spécialisée en octobre 2007, pour un montant de 50 000 francs, fait état des travaux réalisés pour une tranchée filtrante de 230 m de longueur et 0,8 m de largeur, sur une profondeur moyenne de 2,3 m, soit pratiquement sur toute la longueur du lotissement. Quelque 423 m3 de boulets drainants y ont été placés et le tout a été raccordé au collecteur d’eaux claires communal. Depuis, le problème semble avoir été réglé.
Sauf sur le plan légal. Au point que la remise en état exigée par la DGTL, outre le fait de recréer une situation précaire, du point de vue des inondations, pour les copropriétaires du quartier, s’accompagnait d’exigences en termes d’études, de suivi et d’évacuation des matériaux qui engendreraient sans doute des dizaines de milliers de francs de frais.
A ce stade, Mary-Claude Chevalier, syndique d’Orbe, se dit satisfaite de la décision prise par les juges cantonaux.
Il faut savoir raison garder
Les travaux réalisés en amont du lotissement des Fleurs-de-Lys l’ont été sans autorisation et sur une parcelle agricole, ce qu’interdit la législation. Ils auraient pu l’être quelques mètres plus bas, sur le terrain à construire.
Mais dans le contexte de l’époque – l’adoption de la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire en 2013 a considérablement raidi les positions –, nombre de situations similaires ont été créées, parfois à l’insu même des autorités.
Dans l’énoncé de sa décision très détaillée, la CDAP évoque de nombreuses situations et arrêts du Tribunal fédéral. Il est effet difficile de déterminer quelle(s) personne(s) doivent être visées. Pour la Cour cantonale, le premier concerné est clairement identifié : « On ne voit pas pour quel motif la DGTL s’est écartée du texte de la LATC (loi sur l’aménagement du territoire et les constructions), qui fait en principe du propriétaire foncier le destinataire de l’ordre de remise en état. »
Mais pour les juges, le plus important est ailleurs : « Il appartiendra à l’autorité cantonale d’examiner, au terme d’une pesée complète des intérêts, si le démontage de la digue doit être exigé… »
A priori, la suppression d’un ouvrage utile, et pas de confort, serait sans doute disproportionné.