En raison des coûts de production, il est difficile de trouver du raisin de table suisse sur les étalages de nos commerces. Un vigneron-député vaudois propose d’autoriser les viticulteurs à vendre le raisin hors-quota avant qu’il ne pourrisse sur les ceps. Mardi, il a a été largement suivi par le Parlement vaudois. Reste maintenant à convaincre la Berne fédérale de modifier le cadre légal. Les avis nuancés de vignerons de la région du Nord vaudois.
Dans le but de limiter une production pléthorique – susceptible de provoquer un effondrement des prix – et d’améliorer la qualité du vin, des quotas viticoles, soit des droits de production au m2, ont été introduits dans les années nonante. Ces limitations concernaient exclusivement le raisin utilisé pour produire du vin, si bien que les vignerons proposaient souvent du raisin sur des étals devant leurs caves. Depuis 2021, les «acquits – soit les droits de production – comprennent la production de raisin de table.
Du raisin qui pourrit à la vigne
Lorsque le vin est encavé à la vendange, dès qu’ils ont atteint le quota, les viticulteurs, en cas de surplus, doivent donc laisser du raisin à la vigne, sans quoi, leur récolte est déclassée et ils perdent leur droit à l’appellation. Le raisin surnuméraire n’est donc par récolté et certaines années favorables, comme en 2022, il peut arriver que la production intégrale d’un parchet soit abandonnée.
Financièrement, le choix est vite fait. Le prix de vente du raisin de table oscillant entre 4 et 6 francs le kilo, soit une somme inférieure aux coûts de production, le vigneron renonce à en inclure une partie dans son quota et privilégie la production de vin.
Députés à l’unisson
Le député-vigneron PLR Maurice Neyroud de Chardonne souhaite que le règlement sur la limitation de la récolte soit modifié pour permettre aux producteurs de proposer du raisin de table sans pénaliser le quota. Son postulat avait été signé par 64 députés tous bords politiques confondus et mardi son texte a été transmis au gouvernement vaudois sans la moindre opposition.
Ses arguments ont fait mouche: «La mesure permettrait aux viticulteurs de bénéficier d’un petit revenu supplémentaire en vendant un peu de raisin à la population pendant la période des vendanges», a-t-il expliqué. A l’heure où l’on prône les circuits courts, le député évoque également l’incompréhension du consommateur qui ne trouve pas moyen d’acheter du raisin local alors qu’il en voit pourrir sur la vigne.
Convaincre la Berne fédérale
Il appartient maintenant au Conseil d’Etat – appuyé par ses services – de dire s’il est d’accord de prendre son bâton de pèlerin pour aller convaincre l’Office fédéral de la viticulture. Maurice Neyourd a relevé mardi que le canton de Vaud représentait le quart de la surface viticole suisse et avait donc un certain poids lui permettant de tenter de faire bouger les choses.
Guy Cousin, vigneron à Concise
Même s’il y voit le risque que des vignerons soient tentés d’en profiter pour augmenter excessivement leur production, Guy Cousin (photo ci-contre), vigneron bio à Concise, voit cette mesure d’un bon œil dès lors que les quotas sont devenus très restrictifs. D’autant plus qu’une partie de la viticulture souffre à plusieurs titres : coûts de production, certaines normes excessives et sous-enchère de l’Union européenne sur le marché suisse. Il évoque notamment des produits industriels, comme le prosecco, qui détruisent l’écosystème et que l’on peut comparer au soja brésilien et à l’huile de palme. Le vigneron est également mal à l’aise avec le fait «qu’on laisse au sol une denrée alimentaire qu’il est possible de valoriser alors que certains dans le monde n’ont pas de quoi se nourrir et que nous importons la moitié des calories que nous consommons».
Nicolas Bovet et Bernard Gauthey à Arnex-sur-Orbe
Les vignerons des Côtes de l’Orbe sont moins concernés comme producteurs de rouge principalement. Le raisin de table est avant tout du chasselas. Nicolas Bovet du Domaine de la Maison Rose fait du bio et l’herbe de ses vignes affaiblit la production. Des quotas stricts sont pour lui symboles de qualité. Son voisin Bernard Gauthey lui non plus n’a pas ce genre de souci. Sur la question de sortir le raisin de table des quotas, il est mitigé, même s’il estime souhaitable de pouvoir valoriser les produits de la vigne.
Sébastien Morax à Cheyres
Vigneron à Cheyres, commune fribourgeoise voisine d’Yvonand, Sébastien Morax n’est pas concerné par la démarche politique vaudoise, mais la question se pose aussi dans son canton, comme dans toutes les régions viticoles de Suisse. Pour sa part, il s’ingénie à respecter les quotas. En cas de surplus, il l’offre à ses vendangeurs. Permettre aux vignerons de sortir le raisin de table lui paraît risqué. «D’aucuns pourraient en profiter pour renoncer à limiter leur production en décidant de ne plus ou moins couper», s’inquiète-t-il. Pas seulement pour vendre du raisin, mais aussi pour économiser les heures d’ouvrier en charge de la taille». Sébastien Morax verrait d’un meilleur œil que ce raisin soit offert aux vendangeurs ou à des œuvres caritatives telles que Caritas.