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Vaud, champion de la détention préventive
De gauche à droite: le Dr Benjamin Brägger, Raphaël Brossard, chef du service pénitentiaire, Vassilis Venizelos, conseiller d’Etat, et Christophe Champod, professeur en sciences criminelles. état de Vaud/ARC

Vaud, champion de la détention préventive

11 février 2025 | Textes: Jérôme Christen avec l'ATS
Edition N°3889

Notre canton est champion en matière de durée de détention préventive, raison principale de sa surpopulation carcérale. La chaîne pénale devra s’emparer du problème. En attendant, le conseiller d’Etat Vassilis Venizelos a présenté des mesures à court et moyen terme. Il est notamment prévu d’envoyer des détenus dans la prison fribourgeoise de Bellechasse et de créer des espaces modulaires aux Etablissements de la plaine de l’Orbe (EPO).

urgent déjà leur peine dans d’autres cantons, une quarantaine de nouvelles places seront libérées d’ici ce printemps sur le site de Bellechasse, près de Sugiez.
«Une bouffée d’oxygène», estime le conseiller d’Etat yverdonnois Vassilis
Venizelos. Cette mesure est toutefois limitée dans le temps: ces places ne seront plus disponibles lorsque la prison centrale en vieille ville de Fribourg sera rapatriée à Bellechasse.

Des constructions modulaires

Parmi les autres mesures provisoires, quatre communes avaient été approchées pour installer des constructions modulaires, mais tous ces projets ont avorté et leur installation se fera aux EPO. Toutefois, il n’est plus question de 250 places, mais plutôt de 80 places qui seraient installées sur le site des EPO en attendant la construction de la nouvelle prison des Grands-Marais, également à Orbe, où 410 places doivent être créées à l’horizon 2032.

Bracelet électronique

«Nous ne pourrons toutefois pas construire des prisons à l’infini», a prévenu Vassilis Venizelos. Et d’ajouter que si les Grand-Marais étaient «nécessaires», ils ne suffiraient pas à résoudre l’entier du problème. Le ministre écologiste a ainsi souligné l’importance de miser sur d’autres «leviers», et notamment sur des alternatives à la détention, comme le bracelet électronique ou le travail d’intérêt général.

Selon lui, le Canton est déjà «un champion» en la matière, mais il pourrait encore en faire davantage. Cela passera notamment par «une meilleure information» auprès des personnes qui pourraient demander et bénéficier d’un autre régime que la prison. Le Canton veut également agir à Berne pour demander un «assouplissement» du droit fédéral et permettre le recours au bracelet électronique également à des détenus condamnés à des peines supérieures à douze mois.

Renvoi des criminels étrangers

Vider les prisons vaudoises passera aussi par davantage de renvois des criminels étrangers, notamment liés au trafic de drogue, pour autant qu’il existe des accords de réadmission avec leur pays d’origine.  Vassilis Venizelos a rappelé que le Canton avait décidé de mener «des opérations ciblées» contre le trafic de rue, dans le but notamment d’aboutir à «des condamnations rapides», lesquelles doivent ensuite déboucher, si cela est possible, sur des renvois à l’étranger.

Désert statistique

Constatant «un désert statistique», le Canton envisage également la création d’un Observatoire de la criminalité pour disposer de davantage de données et mieux «piloter» sa politique pénitentiaire.

Ces différentes mesures s’appuient sur la publication simultanée de deux rapports, visant à expliquer pourquoi la surpopulation carcérale sévit depuis plus de vingt ans en terre vaudoise. Le premier a été réalisé par le bureau Clavem dirigé par Benjamin Brägger, le second par l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne sous la direction de Christophe Champod.

Vaud champion de l’incarcération

Il ressort de ces rapports que Vaud emprisonne davantage que la moyenne suisse. Alors qu’il regroupe environ 10% de la population suisse, notre canton accumule près de 20% des peines privatives de liberté du pays. C’est même davantage pour les affaires de drogue: en Suisse, un quart des peines de prison sans sursis en lien avec la loi sur les stupéfiants sont vaudoises.

Système répressif

Vaud sort aussi particulièrement du lot avec la détention avant jugement, où la durée moyenne des séjours est 2,5 fois plus longue que la moyenne suisse. Des détentions provisoires qui concernent majoritairement (pour près de la moitié) des hommes sans autorisation de séjour. Le canton de Vaud compte 109 détenus pour 100 000 habitants, alors qu’à partir d’une proportion de 100 000 détenus, on considère le système comme répressif, a relevé Benjamin Brägger.

Les deux auteurs des rapports ont avancé plusieurs pistes pour expliquer cette surpopulation carcérale. S’il n’y a pas de criminalité spécifiquement vaudoise, celle-ci se distingue toutefois par «une prévalence» d’infractions liées à la loi sur les stupéfiants. La lutte contre le trafic de drogue de rue a ainsi un «impact important» sur la surpopulation carcérale.

Parmi les autres causes, l’attrait pour un canton prospère et la proximité avec la frontière française ont aussi été mentionnés. L’explication serait aussi «culturelle»: Vaud, à l’instar des autres cantons latins, ferait preuve «d’une plus grande rigueur» en matière pénale, a relevé Benjamin Brägger.


«Des peines plus courtes»

Mathilde Marendaz (photo), membre de la commission des visiteurs de prisons, présente hier à Lausanne, relève tout d’abord «qu’il n’y a pas de criminalité spécifique au canton de Vaud et qu’il faut chercher ailleurs les raisons de cette surpopulation carcérale. Soit de longues détentions préventives, résultat d’une différence de culture entre cantons latins et alémaniques. Autre facteur, la politique active de répression autour du trafic de drogue de rue. Pour la députée yverdonnoise du groupe Ensemble à gauche & POP, les mesures prises sont un bon début, mais il y a encore un gros travail à faire par la chaîne pénale, notamment pour réduire la durée de détention avant jugement. Cela ne changerait rien à l’effet préventif: on ne se sent pas moins en sécurité à Zurich, et de manière générale, une approche plus souple avec des durées de détention moins longues aurait des effets positifs à tout point de vue. En criminologie, on sait qu’enfermer très longtemps n’a pas d’effet préventif, au contraire, ça renforce parfois des profils criminels, et pose des problèmes de réinsertion alors qu’une peine courte peut avoir un effet dissuasif.»


«Ne pas lever le pied»

José Durussel (photo), député de Rovray, représente l’UDC au sein de la commission des visiteurs de prisons: «Nous allons devoir nous plonger à fond dans ces rapports que j’ai commencé à parcourir. Il en ressort que le système pénal vaudois serait plus répressif que celui des cantons alémaniques, mais il faut tenir compte du fait que nous sommes plus exposés en raison de la proximité de la France, au carrefour des axes routiers. Des bandes organisées voient un intérêt évident à profiter de notre prospérité. Je regrette que nous n’appliquions pas avec plus de rigueur la réglementation sur l’expulsion des criminels étrangers comme cela a été voulu par le peuple. Il ressort que plus de la moitié des personnes incarcérées n’ont pas d’autorisation de séjour. Il est possible d’entrer dans notre pays comme dans un moulin. Je ne vois donc pas de raison de lever le pied, mais plutôt de développer le recours au bracelet électronique et de prendre des mesures permettant d’accélérer les procédures pénales pour raccourcir les durées de détention avant jugement. »