Virtuose dans son art
11 juillet 2025 | Texte: Robin Badoux Photos: Gabriel ladoEdition N°3976
Actif depuis plus de trente ans dans la fabrication et la réparation de violons, altos ou violoncelles, Yves Linder perpétue aujourd’hui encore à Champagne un savoir-faire nécessitant une grande finesse, mais aussi de la patience et de la passion.
Qu’est-ce qu’un violon? Pour beaucoup, il s’agit surtout d’un instrument pour musicien virtuose, pour d’autres, il peut s’agir d’un objet de collection si précieux qu’on ose à peine y toucher. Pour Yves Linder, un violon c’est «dix heures de dégrossissage et 190 heures de finitions!» Une manière de souligner le degré d’exigence nécessaire à la création de ces objets précieux, fruits d’un long labeur et de gestes précis à l’extrême.
L’amour du bois
Cela fait maintenant près de quarante ans que le luthier s’est lancé dans la construction de ces instruments. «J’ai commencé la formation en 1988 à l’école de lutherie de Brienz, la seule de Suisse, qui ne prend que deux élèves par année. Avant, j’étais passé par tous les métiers du bois: charpente, menuiserie, ébénisterie. Je suis allé du plus grand au plus petit. Plus c’est fin et compliqué, plus j’aime!»
Après avoir travaillé quelques années en France, il installe son atelier à Ependes en 2000. À l’époque, le jeune luthier qu’il était réalise un rêve de gosse et espère vouer sa vie à la construction de ces instruments. «Au début, je faisais en moyenne quatre instruments par an.»
Sa situation familiale l’oblige par la suite à déménager son atelier, d’abord à Yverdon, puis à Champagne, où il façonne le bois depuis maintenant sept ans. Ou plutôt «façonnait» le bois, car cela fait près de dix ans qu’Yves Linder ne fabrique plus d’instrument. «Je me concentre aujourd’hui sur l’entretien et la location.» Difficile en effet de pouvoir vivre entièrement de ce métier d’art où la demande reste faible, à moins de s’activer avec vigueur dans les foires et salons, parfois loin au-delà des frontières du canton. «J’ai rapidement trouvé un travail à 60% et un équilibre à côté de la lutherie», admet-il. Malgré tout, Yves Linder conserve cette étincelle dans le regard lorsqu’il travaille sur ces courbes et ce bois qu’il affectionne. «J’ai toujours du plaisir à faire ça. J’ai d’ailleurs encore beaucoup de bois en réserve, au cas où. De quoi tenir jusqu’à mes 80 ans!»
Sentir les vibrations
Malgré cette pause imposée, le luthier conserve toute la maîtrise nécessaire à la construction de ces précieux objets. Du premier coup de gouge, ou «cuillère», aux dernières finitions, l’artisan doit composer avec un nombre élevé de contraintes. Car un violon n’est pas qu’une simple caisse de résonance: le moindre écart aura un impact sur le son que produira l’instrument. «Mes violons sont essentiellement des instruments de concert (ndlr: donc meilleurs que des instruments d’étude, mais moins précieux que des violons de solistes, comme un Stradivarius). C’est forcément le cas lorsqu’on parle d’un instrument de luthier, fait à 100% par une seule personne. On dit que ces instruments ont une personnalité propre.»
Sa personnalité, Yves Linder l’intègre dans les 80 pièces nécessaires à la construction d’un violon, de la sculpture de la table d’harmonie en épicéa suisse aux volutes de la tête en passant par le manche en érable des Carpates et la touche en ébène d’Amazonie. En revanche, le luthier laisse la fabrication des archets à d’autres artisans. «C’est un autre petit monde. Je ne fais que quelques menues réparations sur les archets.»
Virtuose dans son art, Yves Linder est également un musicien de talent puisqu’il joue… de la guitare! «Et je ne saurais pas en construire une», rigole-t-il. Il sait en revanche parfaitement le son que doivent produire ses instruments. «J’ai une manière très personnelle de tester mes créations», explique-t-il tout en saisissant un violon à la verticale, entre ses genoux, avec la tête du violon posée à la base de son cou, avant d’en jouer un peu à la manière d’un violoncelle. «Ce qui compte pour moi, c’est de voir toutes les pièces vibrer librement. Plus qu’entendre le son, je dois pouvoir sentir les vibrations. Un bon instrument doit bouger de partout.»
Âgé aujourd’hui de 61 ans, Yves Linder sait qu’il continuera la lutherie encore longtemps après l’âge de la retraite, ne serait-ce que pour continuer à réparer ou louer des instruments. Mais il reste aussi ouvert à l’idée de se remettre à la construction. «J’ai toujours un instrument d’avance prêt au cas où un client impromptu se présente, car il faut compter un mois de travail et près d’une année pour le séchage des vernis.»