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Le bois suisse aux abois

14 septembre 2017 | Edition N°2081

Nord vaudois – Prix en chute libre et concurrence des produits étrangers : l’industrie est en crise. Dans la région, le patrimoine forestier n’y échappe pas, et c’est toute une filière qui tente de survivre.

Face à la concurrence des produits étrangers, plus avantageux, les grûmes suisses peinent parfois à trouver preneur. ©Simon Gabioud

Face à la concurrence des produits étrangers, plus avantageux, les grûmes suisses peinent parfois à trouver preneur.

Reconnu pour ses qualités esthétiques et écologiques, le bois n’a jamais été autant prisé dans le domaine de la construction. Le hic ? Le bois d’origine étrangère envahit le marché indigène et prend, doucement mais sûrement, le pas sur le bois suisse. Frappée de plein fouet par la crise des marchés financiers depuis 2008, mise à mal plus récemment avec le franc fort et l’introduction du taux plancher face à l’euro, l’industrie du bois suisse est chahutée, et peine à trouver un second souffle.

Dans le Nord vaudois, l’important patrimoine forestier n’y échappe pas, et c’est toute une filière qui se débat pour survivre. La situation touche prioritairement le maillon de la transformation, en particulier les petites scieries qui peinent à rivaliser avec les prix pratiqués par certains «géants» européens, notamment allemands et autrichiens. «L’industrie du bois, c’est le libéralisme économique dans toute sa splendeur. Contrairement aux agriculteurs, les scieurs ne reçoivent pas de paiements directs, ni aucune aide publique, constate Jean- Louis Dutoit, directeur de la scierie Dutoit S.A., à Chavornay. Si, politiquement, il n’y a pas des décisions qui se prennent, économiquement on est morts. Ne rien faire équivaudrait à cautionner la disparition d’une industrie déjà en soins palliatifs.»

Active dans l’industrie du bois depuis quatre générations, cette entreprise familiale est l’une des deux scieries nord-vaudoises encore en activité, l’autre se situant à La Poissine, à Grandson. A l’échelon national, leur nombre a été divisé par dix en cinquante ans, et elles ne sont qu’un peu plus de deux cents réparties sur tout le territoire. Les dernières statistiques fédérales confirment la mauvaise passe que traverse la filière : plus de 50% du bois massif utilisé dans la construction en Suisse est aujourd’hui importé. Un pourcentage qui prend l’ascenseur pour le bois recomposé. On parle alors de 80% selon la gamme de produits, en particulier le bois dit «lamellé-collé».

Même si les machines de l’entreprise établie à Chavornay continuent à tourner, la situation reste critique. «La mondialisation actuelle génère des gagnants et des perdants, en Suisse. Clairement, l’exploitation des forêts et l’industrie du bois en général sont les perdants, poursuit l’intéressé qui, inquiet pour les décennies à venir, se dit heureux que son fils ne souhaite pas reprendre les affaires familiales.

Pour l’entrepreneur, une plus grande utilisation du bois indigène passera par une meilleure prise de conscience du consommateur et un changement des mentalités : «Lorsque vous achetez du poulet ou de l’agneau, vous regardez s’ils provient de Chine ou de Nouvelle- Zélande. Ce serait bien que les consommateurs de bois soient attentifs à sa provenance. C’est une question d’éthique.»

Du côté de Lignum, l’association responsable de la promotion du bois suisse, on a pris le problème à bras le corps. Afin de favoriser l’exploitation du bois indigène, le label COBS -certificat d’origine bois suisse- a récemment vu le jour. «Le but : offrir une garantie au constructeur que son ouvrage sera réalisé avec du bois 100% suisse, explique Reto Emery, secrétaire de la section vaudoise de l’association. L’initiative est en train de faire ses preuves.»

Malgré cette mesure, les forêts suisses -qui recouvrent un tiers du territoire- sont largement sous-exploitées. Un arbre sur deux en âge d’être abattu reste sur pied. Une situation qui n’est pas sans conséquence : «Le bois s’accumule dans les forêts, les arbres grandissent, s’élargissent et écrasent la concurrence tout autour d’eux, poursuit l’ingénieur. Ainsi, la variété est plus faible et la biodiversité diminue.» La sous-exploitation implique, en outre, des problèmes pour la forêt et un soucis de santé pour les générations futures. A noter que la fonction de protection contre les dangers naturels de la forêt pourrait également être remise en cause.

 

Le bois à l’honneur

 

Jean-Louis Dutoit, de la scierie Dutoit S.A., à Chavornay, dénonce les côtés sombres de la mondialisation. ©Simon Gabioud

Jean-Louis Dutoit, de la scierie Dutoit S.A., à Chavornay, dénonce les côtés sombres de la mondialisation.

Les traditionnelles «Journées du bois suisse» se tiendront demain et samedi. Sur le thème «La forêt se dévoile, de l’arbre à l’habitat», l’occasion sera donnée aux acteurs de la filière économique du bois de sensibiliser la population à cette ressource renouvelable et indigène. Dans le Nord vaudois, le Centre d’exploitation des forêts cantonales, Etienne Berney S.A., Brassusbois S.A. Et LGS Swiss skateboard compagny -tous situés au Brassus-, la scierie Ray S.A., JPF Ducret S.A., JMB-Bois menuiserie S.A. -tous trois à La Poissine et enfin le Groupement forestier 7, à Vernéaz (Vaumarcus), ouvriront les portes de leur entreprise.

 

Les bûcherons tirent leur épingle du jeu

 

«Le bois n’est écologique que s’il est indigène.» Yvan Pahud, L’Auberson

«Le bois n’est écologique que s’il est indigène.» Yvan Pahud, L’Auberson

Si la situation reste préoccupante pour l’ensemble de la filière du bois en Suisse, le maillon de la coupe en forêt -les forestiers- bûcherons- parvient à tirer son épingle du jeu. En partie, du moins. Car si les communes parviennent encore tant bien que mal à valoriser leurs forêts et à fournir du travail en suffisance aux bûcherons, ce n’est plus le cas des propriétaires privés. «Les coûts liés à la coupe de l’arbre sont plus élevés que sa valeur à la vente, alors c’est vite vu : on ne coupe plus sur les forêts privées», détaille Yvan Pahud, forestier-bûcheron établi à L’Auberson.

Au-delà des contrainte économiques liées à l’exploitation, le député UDC nord-vaudois fustige l’hypocrisie qui règne dans la branche, notamment dans le dernier maillon de la chaîne, la construction : «Le bois est un matériau écologique seulement s’il est indigène. S’il est importé de Turquie ou de Slovénie, il devient alors bien moins écologique que le béton. Dans la région, il est urgent que les communes propriétaires de bois montrent la volonté de valoriser le bois local.»

Simon Gabioud