Logo
A la conquête des étoiles
© Michel Duperrex

A la conquête des étoiles

1 juillet 2021 | Edition N°2986

Chavornay – Mirsad Sarajlic a postulé pour devenir l’un des quatre prochains astronautes de l’Agence spatiale européenne. Mais avant de poser un pied sur la Lune, il devra déjà se démarquer. de ses 22 588 concurrents!

Ne serait-il pas incroyable qu’un Nord-Vaudois représente la Suisse dans la prochaine conquête de l’espace? Penser passer de Chavornay à Mars, il n’y a qu’un homme assez fou, assez rêveur, mais surtout assez compétent pour oser le faire: Mirsad Sarajlic. Le spécialiste en microtechnique vient de postuler pour devenir l’un des quatre à six prochains astronautes de l’Agence spatiale européenne (ESA). Par contre, l’ingénieur aura de la concurrence, puisque près de 22 600 dossiers, dont 670 suisses, ont été déposés par des citoyens provenant des 25 états membres et associés de l’ESA. Un nombre trois fois plus important que lors de la campagne de 2008.

Bien qu’il adore avoir la tête dans les étoiles, Mirsad Sarajlic tente de garder les pieds sur terre du mieux qu’il peut. Ce qui lui permet aussi de rassurer un tant soit peu sa femme, inquiète à l’idée de voir le père de son fils de 3 ans littéralement expédié sur une autre planète. «Elle a peur que je sois retenu pour les premières phases en tout cas, parce qu’elle sait que j’ai un bon dossier. Elle a plus confiance en moi que moi-même! rigole le Bosnien d’origine. J’espère juste que mon nom ne me portera pas préjudice.» Et d’ajouter avec une pincée d’humour: «J’ai aussi précisé à ma femme que la station internationale n’était pas si loin que cela, puisqu’elle n’est qu’à 330 km de la Terre!»

La «bible» des astronautes

Le Nord-Vaudois s’est donc embarqué dans une longue phase de sélection qui va se dérouler en six étapes (toutes à l’étranger) jusqu’en 2022. Le premier échelon à gravir pour les quelque 1500 candidats présélectionnés consistera à passer des tests psychologiques à Cologne, en Allemagne. Et pour cela, il mise tout sur… un livre. On ne parle pas ici du manuel pour apprendre à conduire, quoiqu’il comporte également des tas d’exercices, mais de la «bible» des aspirants cosmonautes, rédigée par l’astronaute Timothy Peake. Ce guide vise à entraîner le cerveau à devenir multitâche tout en développant une mémoire d’éléphant. «Un astronaute doit être le couteau suisse des scientifiques qui restent sur Terre. Il ne doit pas être exceptionnel dans un domaine mais bon dans une multitude de thématiques!» explique Mirsad Sarajlic. Evidemment, une fois dans la stratosphère, les astronautes doivent réaliser moult expériences afin de collecter un maximum de données pour les érudits restés sur la planète bleue. Avant d’en arriver là, il faudra encore se démarquer lors d’épreuves psychométriques et de logique, puis de tests médicaux, et finalement durant des entretiens.

Le numéro de dossier 12355 aura-t-il une chance de décrocher la lune? Difficile à dire vu le nombre de postulations. Mais il part certainement avec un avantage: l’expérience d’avoir œuvré sur les deux seuls satellites suisses envoyés en orbite. Que ce soit par ses formations ou par son travail, toutes les décisions que Mirsad Sarajlic a prises l’ont amené à pointer son nez vers le ciel.

Comme pour beaucoup d’enfants, le Chavornaysan rêvait de devenir astronaute, mais il a mis son vœu de côté pour un métier plus raisonnable: ingénieur. Mais en étudiant à la Haute Ecole d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD), son désir secret l’a rattrapé. «Pour les projets de Bachelor, un prof proposait de travailler sur un satellite suisse. Personne ne voulait relever ce défi qui semblait très compliqué et technique, mais comme je suis quelqu’un de très curieux, j’y suis allé. Comme chaque satellite a un but scientifique précis, celui de SwissCube était d’observer la Terre. J’ai donc réalisé un mini-objectif d’appareil photo», raconte le spécialiste en microtechnique, qui a assisté à la phase finale de ce premier satellite suisse envoyé par une fusée indienne dans la stratosphère et suivi par les médias à travers le monde. C’est précisément ce challenge qui a été l’élément déclencheur pour Mirsad Sarajlic. Car ce projet lui a ouvert les portes d’un secteur très particulier.

Devenu assistant de son professeur, le Nord-Vaudois a ainsi pu travailler sur d’incroyables télescopes au Chili, en Turquie ou encore aux Iles Canaries. «Puis un jour, un ancien professeur me dit: j’ai un projet pour toi, si tu aimes les histoires égyptiennes, puisqu’il est baptisé CHEOPS. Ton superviseur s’appelle Didier Queloz (ndlr: l’astronome suisse qui a par la suite déroché un Prix Nobel pour avoir découvert, avec Michel Mayor, la première planète extrasolaire baptisée 51 Pegasi b). J’ai tout de suite accepté, bien sûr», narre le trentenaire, dont la mission était de vérifier que ce deuxième satellite suisse puisse prendre des photos de qualité de l’espace. Et pour cause: l’objectif de CHEOPS est de trouver des planètes en dehors de notre système solaire, autrement dit des exoplanètes. Là, il a appris à travailler dans des salles blanches car «il ne doit pas y avoir la moindre poussière, autrement cela pourrait dégrader les instruments une fois dans l’espace».

Sera-t-il le 621e astronaute de l’Histoire?

Une pièce imbriquée après l’autre, l’ingénieur a tracé sa route vers les étoiles. Aujourd’hui indépendant et à la tête de Swiss Optics System, il continue de faire avancer le monde. «L’avantage d’une formation en microtechnique, c’est que l’on touche à tout. J’ai par exemple développé un projet en microrobotique, des amortisseurs de disjoncteurs pour les trains, des machines d’imagerie pour le fond de l’œil, des pièces pour Nespresso, etc. indique-t-il humblement. Pour l’astronomie? Je travaille maintenant sur un petit élément pour le futur plus grand télescope au monde.» Malgré ses années d’expérience dans le domaine, il n’a pourtant jamais regardé à travers les lentilles de ces monstres de technologie pour admirer l’infinité du cosmos. En réalité, il préférerait observer cette immensité à l’œil nu, depuis l’espace. Mais il le sait, la route sera longue avant d’enfiler sa tenue de cosmonaute. «Dans l’histoire de l’humanité, il n’y a eu qu’environ 600 astronautes, je serai peut-être le 621e!» blague-t-il.

Quoi qu’il arrive à l’issue des sélections, Mirsad Sarajlic considère qu’il a déjà tout gagné. «Quand j’ai demandé à Elio, mon fils de 3 ans, quel était le travail de papa, il m’a répondu: astronaute! Il était déjà fier de moi. Là, un bout de mon rêve était déjà accompli», conclut-il le cœur empli de joie.

Christelle Maillard