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Apprendre la grammaire de manière ludique

15 octobre 2021

Emilio Neira, enseignant de l’Etablissement scolaire de Sainte-Croix, développe une méthode qui vise à simplifier l’enseignement de la grammaire.

Dans la classe du collège de la Gare où il enseigne, Emilio Neira évolue comme un poisson dans l’eau. Rien de plus normal pour un Galicien né à Rianxo, une contrée du nord-ouest de l’Espagne où bon nombre d’habitants ont un lien, familial, ou affectif, avec la mer. Cette classe n’a rien de traditionnel et la présence de nasses, contenant divers objets, intrigue le visiteur. L’armature de bois habillée de filets contient des objets aussi précieux que les poissons ou autres fruits de mer: les accessoires indispensables de la méthode SINTAXE.

Dans cette classe de l’établissement scolaire sainte-crix, le joyeux désordre s’apparente à celui d’une salle de jeu, mais il a un but pédagogique essentiel: aider les enfants en difficulté, et par extension tous les autres, à mieux intégrer les bases de la grammaire. Quoi de mieux que d’apprendre en s’amusant?

Un Galicien établi depuis une demi-douzaine d’années sur le Balcon du Jura qui enseigne les bases de la structure de la langue française à des enfants francophones, on croit rêver. «C’est une langue latine!», s’exclame l’enseignant. Première évidence, la méthode, développée avec ses amis restés au pays, et la collaboration de ses collègues sainte-crix, a la prétention d’être applicable à plusieurs langues. A Sainte-Croix, les résultats sont suffisamment probants pour obtenir l’adhésion des autres enseignants, et le fort soutien de Fabien Zadori, directeur de l’Etablissement.

Emilio Neira aime les difficultés, mais surtout les résoudre. Et, tout au long de sa carrière d’enseignant de français en Espagne, il y a été confronté. Au point de passer des nuits entières à réfléchir aux moyens qui permettent de faciliter l’accès à la structure de base d’une langue, la grammaire.

Alors qu’il enseigne à Teruel, la province la moins peuplée d’Espagne, fatigué par le système, Emilio Neira décide d’émigrer en Suisse. Le pays ne lui est pas totalement inconnu puisque dans son enfance, il y a vécu durant deux ans.

«J’étais frustré par la manière d’enseigner. Trente élèves par classe, dont certains connaissaient de sérieuses difficultés (ndlr: il énumère tous les dysfonctionnements), c’était difficile à assumer. Tous les jours, j’enseignais de 8h30 à 14h30, puis les fins d’après-midi, j’étais bénévolement à disposition des élèves en difficulté. La langue est une base importante pour l’avenir d’un enfant», explique-t-il.

A Sainte-Croix, Emilio Neira a d’abord enseigné le français aux personnes prises en charge par l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrants). Puis il y a eu l’opportunité de réaliser des remplacements à l’Etablissement scolaire. L’équipe de direction l’a alors encouragé à reprendre des études, et c’est ainsi qu’il est entré à la HEP (Haute école pédagogique du Canton de Vaud).

«J’ai repris le plaisir d’enseigner que j’avais perdu en Espagne», relève-t-il, en guise de reconnaissance envers tous ceux qui l’ont soutenu. Et d’expliquer que la méthode SINTAXE, encore en plein développement, est le fruit de son mémoire de master d’enseignant spécialisé réalisé à la HEP.

De son expérience passée, l’enseignant sainte-crix a retiré deux constats: quand un élève n’a pas construit le savoir, il va l’oublier, et il faut éliminer les parasites. Autrement dit, tout ce qu’on voit, et que les élèves manipulent comme ils le feraient pour un jeu de Lego, doit vraiment avoir une signification.

Et, à ce stade de l’entretien, il joint le geste à la parole pour assembler, puis défaire, des petits personnages amusants, dont les formes et les couleurs ont chacune leur signification. «Il faut passer par la manipulation et rendre visible quelque chose d’invisible», assure l’enseignant en montrant ces accessoires matériels, fabriqués par les voisins du CPNV (Centre professionnel du Nord vaudois).

Le matériel pédagogique est contenu dans une nasse qui fait office de valise, et qui peut circuler de classe en classe. Une version numérique du support matériel a été créée. «Mes collègues ont ajouté des idées superbes. On améliore la méthode en équipe», précise Emilio Neira, qui aime partager le succès.

Car dans le cadre de la conception, les enseignants ont aussi rencontré les familles et noté leurs commentaires. Et puis les élèves eux-mêmes ont contribué à améliorer les instruments. «Etre à l’écoute des enfants est un apport incroyable», illustre-t-il en décrivant la forme hexagonale d’un support, un objet investi du rôle d’outil médiateur.

Lorsqu’il évoque la construction, et l’échange d’exercices, entre les élèves de la 3 à la 5 P – au-delà, les objets doivent disparaître –, et les enseignants, Emilio Neira parle de la «magie de la collaboration».

Dans une démarche constante d’amélioration, l’enseignant imagine la création d’une base de données qui permettrait de connaître les difficultés de chaque enfant. Quant à SINTAXE, elle a déjà obtenu le soutien du président de la Société pédagogique vaudoise (SPE), Gregory Durand.

Avec cette aventure passionnante, dans laquelle il s’est engagé avec ses amis galiciens Roberto Rama, Ipolito Noel Montero et David Cuence, et avec l’aide de ses collègues, Emilio Neira contribue aussi à faire de l’Etablissement scolaire sainte-crix une institution innovante.
SINTAXE sera présentée pour la première fois en décembre prochain au VIe Congrès international de langue, linguistique et technologie (TECHLing2021-UVigo-T&P), à Vigo (Espagne).

Isidore Raposo