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Au cœur de l’occupation de Clendy-Dessous
La musique et la danse ne sont jamais bien loin dans le "quartier libre" de Clendy-Dessous.

Au cœur de l’occupation de Clendy-Dessous

28 octobre 2021

Yverdon – Alors que la naissance du «quartier libre» chamboule le quotidien de nombreux habitants depuis presque deux semaines, deux occupants dévoilent leur quotidien, leurs convictions et leurs craintes.

Il paraît loin, ce samedi 16 octobre. À cette date, la rue de Clendy-Dessous n’était qu’un paisible chemin comme les autres. Ce jour-ci, les habitants du quartier ne s’attendaient certainement pas à voir débarquer une centaine de militants, d’abord pour le week-end, puis de façon plus pérenne en occupant illégalement deux logements vides.

Aujourd’hui, néanmoins, il est difficile de dire que Clendy-Dessous n’est plus une rue paisible. L’action des militants, tout illégale qu’elle est, demeure pacifiste. Certains voisins s’en sont même accommodés, à l’image de celui qui vient reprendre son mixer prêté aux occupants la veille.

En revanche, Clendy-Dessous n’est définitivement plus un quartier yverdonnois comme les autres. Cette occupation a fait de la ruelle – et de la Cité thermale par extension – un lieu de lutte central pour les militants d’extrême-gauche de toute la Romandie. Parmi ces activistes, Maël et Lou – des pseudos évidemment – ont accepté de dévoiler leur parcours, comment et pourquoi ils sont arrivés dans ce vieux logement, à l’est d’Yverdon.

Comment est née cette occupation, à Yverdon?

Lou: Il y a eu du travail avant l’officialisation, c’est sûr. Cette action, ce sont de gros mois de préparation, de réunions. Tout a été mis en place très vite, donc on ne s’en rend pas forcément compte, mais ça ne s’est pas fait tout seul.

Maël: Des amis m’ont partagé ce qui se passait ici, et c’est une lutte qui me paraît juste et nécessaire. J’étais donc déjà là, dès l’officialisation. Il y a eu beaucoup de recherche, de lectures. On a réfléchi au type d’action qui pourrait fonctionner ou non.

Mais vous, comment êtes-vous arrivés dans cette action? Quel est votre parcours militant?

M: Le militantisme s’est développé chez moi durant plusieurs phases de ma vie. J’ai toujours eu une conscience politique, je me suis toujours soucié de ce qui n’allait pas dans le monde. Et pour agir face à ces problèmes, je suis passé par plusieurs étapes. J’ai d’abord opté pour un militantisme plutôt «institutionnel»: récolter des signatures, développer un jardin potager dans le cadre du gymnase. J’ai ensuite participé à la grève du climat, ainsi qu’à d’autres luttes. Durant certaines manifestation, j’ai subi la répression contre la désobéissance civile. Et on voit par exemple que le Tribunal fédéral ne reconnaît pas l’urgence climatique. Cela m’a poussé à remettre en cause notre système. On ne peut pas simplement se reposer sur la Justice.

L: C’est drôle, mon parcours est très différent! Depuis très jeune, j’avais des amis dans le milieu squat. Je ne suis jamais passé par des associations militantes ou des lectures. C’est vraiment au contact des autres que je me suis de plus en plus impliquée dans des luttes. Même si au fond de moi, j’ai toujours été en rage contre ce système, encore bien trop malveillant envers de nombreuses personnes.

M: Mon parcours est aussi le fruit de pas mal de désillusions. Quand j’étais plus jeune, je pensais que la démocratie suisse était la meilleure du monde! Mais j’ai vu que non. J’ai aussi été frustré, notamment à l’Université, par le nombre de personnes qui posaient des constats juste sur les problèmes de la société, mais qui n’en tiraient aucune action derrière. Ça m’a révolté.

Pourquoi être venus spécifiquement à Yverdon? N’y a-t-il pas de nombreux autres projets immobilier plus problématiques?

L: Les immeubles qui seront construits ici sont un bon exemple de ce contre quoi on s’oppose. Mais oui, il y a évidemment d’autres lieux où ça ne va pas. Mais il faut bien commencer quelque part, alors on a lancé cette occupation! C’est très positif de voir des militants de tous les cantons avoisinants venir à Yverdon, un ville qui était assez creuse au niveau du militantisme.

M: Clendy-Dessous, c’est un exemple. Il y a plein d’autres projets problématiques, et d’ailleurs celui-ci n’est de loin pas le pire. Mais c’est aussi pour ça qu’il est primordial de le combattre. Il faut montrer que ce n’est pas parce qu’un projet est vendu comme vert qu’il ne pose pas un problème de densification auquel nous nous opposons.

Justement, cette densification n’est-elle pas l’avenir de l’écologie? La vice-syndique d’Yverdon, membre des Vert.e.s, vous a qualifiés de «prétendus écologistes» pour vous y opposer.

M: Densifier paraît écologique, car cela permet d’éviter le mitage du territoire. C’était tout l’enjeu de la LAT. Mais c’est une fausse dualité. Pour nous, le mitage ET la densification ne sont pas souhaitables. On nous a mis dans la tête que c’était soit l’un, soit l’autre, mais on veut sortir de ce dilemme. Une piste à explorer, c’est précisément de chercher et exploiter les logements vides.

L: Et il faut aussi remettre le projet dans son contexte. Ici, à Clendy-Dessous, on ne parle pas seulement de densification. On veut démolir des bâtiments qui existent pour en reconstruire.

M: On a conscience que ça implique de changer radicalement notre façon de vivre. Il n’y a pas seulement les appartements vides, il y a aussi les logements sous-occupés. Mais on veut aussi montrer qu’ici, on vit en collectivité et on y trouve du bonheur!

La Municipalité d’Yverdon est passée à gauche cet été. Vous attendiez-vous à plus de soutien?

M: Je suis déçu, mais malheureusement pas surpris… Voir une municipale verte nous traiter de «prétendus-écolos», j’estime que c’est une trahison envers la cause et envers de nombreuses personnes qui ont voté pour elle. Si la Municipalité prenait ses responsabilités au sérieux, elle serait de notre côté. Là, soit elle a abandonné l’écologie pour un peu de respectabilité politique, soit elle effectue une analyse superficielle, qui permet d’ailleurs de maintenir les privilèges en place.

L: On ne fait pas ça pour le plaisir. On est obligés d’imposer une radicalité pour espérer un changement. Si le système nous permettait de réaliser ces actions de façon légale, on serait ravis.

M: L’illégalité est clairement un poids et une menace pour moi. Mais j’estime que ces actions sont nécessaires. Il est important de les réaliser malgré les risques.

L: Je n’ai d’ailleurs pas l’impression de faire quelque chose d’illégal ici. Me battre pour préserver l’avenir de tous, est-ce que ça mérite une condamnation? Peut-être faut-il changer ce qui est légal et ce qui ne l’est pas… La politique institutionnelle crée l’illusion d’une démocratie ou chacun peut s’exprimer. Mais ce n’est juste pas le cas. De nombreuses minorités ne trouvent pas leur place dans notre démocratie.

Selon vous, ce genre d’actions va-t-il se multiplier dans les mois à venir?

L: Oui, car c’est la meilleure façon d’agir. On voit l’évolution de la crise climatique, par exemple, et les réponses extrêmement lentes qui sont données par le pouvoir. En suivant l’agenda de la politique institutionnelle, on n’arrivera pas à lutter contre cette crise.

M: Il faut noter que ces actions peuvent prendre des formes très différentes, pas seulement celle de l’occupation. Mais oui, ce sont aussi les mouvements sociaux, qui partent parfois d’actions illégales, qui permettent de repenser la démocratie «traditionnelle».


Un nouvel espace commun au sein du squat

Depuis quelques jours, les habitués du «quartier libre» peuvent profiter d’un nouvel espace. Ouvert à tous, il se trouve au rez-de-chaussée d’un des bâtiments occupés par les militants.

Mais attention, les personnes qui s’y rendent se mettent évidemment en porte-à-faux avec la loi, le local n’étant pas loué par les occupants. Un panneau indique d’ailleurs ces risques à l’entrée de l’espace.

À l’intérieur, une grande salle est utilisée pour organiser différents ateliers, des concerts ou encore des cours de danse. Une «gratuiterie» a également été installée, soit un espace où ceux qui ont besoin d’affaires, comme des vêtements, peuvent venir se servir. Les Yverdonnois sont aussi invités à venir y déposer les objets dont ils ne se servent plus, s’il le peuvent et le souhaitent.

Massimo Greco


Les squatters évacués plus vite?

Le Conseil fédéral prépare un message pour modifier le Code civil et accélérer la libération d’immeubles occupés illicitement.

Les squatters prennent en effet par surprise non seulement les propriétaires, mais également les autorités. L’occupation d’immeubles à Clendy-Dessous, à Yverdon-les-Bains, illustre ce qui se passe généralement. Mais le Conseil fédéral s’apprête à soumettre aux Chambres un message qui, à défaut d’empêcher une occupation, devrait accélérer l’évacuation. Car si, en théorie, rien, du point de vue de la législation en vigueur, ne s’oppose à l’intervention de la police, la réalité démontre que le pouvoir politique cherche systématiquement à temporiser.

C’est une affaire vaudoise, l’occupation d’une ancienne ferme sur les hauts de la Commune de Bourg-en-Lavaux, qui est à l’origine de l’évolution législative en cours au niveau fédéral. En 2013, le député Guy-Philippe Bolay, aujourd’hui juge à la Cour des Comptes du Canton de Vaud, avait interpellé le Conseil d’Etat vaudois sur cette occupant, déplorant que le propriétaire doive «faire toutes les avances de frais et intervenir sur le plan judiciaire». Et de déplorer la longueur des démarches «alors qu’un cambrioleur en effraction dans un logement serait immédiatement emprisonné».

A l’époque déjà, le Conseil d’Etat vaudois avait répondu: «Il n’existe aucune base légale qui rende impossible l’intervention de la police dans ce genre de situation. Toutefois, il convient de relever qu’en règle générale, pour ce qui concerne le domaine privé, la police n’intervient que sur réquisition d’une autorité judiciaire ou administrative.» En effet, la Police n’intervient que s’il y a péril en la demeure. Dans la pratique, disait alors le Gouvernement, on considère que le cambrioleur entre dans l’intention de commettre une infraction, «alors que le squatter a uniquement l’intention de pénétrer sans droit dans une propriété privée et d’y demeurer».

Evidemment, ce type de position, et les longues procédures judiciaires que doit entamer le propriétaire de l’objet occupé, le plus souvent contre des «fantômes» qui se cachent sous de prétendus collectifs – la Feuille des avis officiel foisonne d’avis et décisions adressées à des inconnus qui, de surcroît, contribuent à engorger le pouvoir judiciaire –, ne convient guère aux milieux des propriétaires.

Motion déposée

Ainsi, en 2015, le conseiller national Olivier Feller, par ailleurs directeur de la Chambre vaudoise immobilière (CVI), a déposé une motion visant à renforcer les droits des propriétaires. Celle-ci a été adoptée par les deux Chambres et elle a abouti à un projet de modification du Code civil, mis en consultation à la fin de l’année dernière. Le Conseil fédéral devrait soumettre, d’ici le début de l’an prochain, un message aux Chambres.

Le Conseil fédéral propose de compléter l’article 926 du Code civil en y précisant que le propriétaire doit agir dès qu’il a eu connaissance de l’occupation illégale en ayant fait preuve de la diligence requise. Le Gouvernement propose aussi de spécifier que les autorités de police doivent assurer au propriétaire qui veut exercer le droit de reprise l’intervention requise par les circonstances en temps utile.

«Cette clarification s’avère d’autant plus opportune que les autorités de police du Canton de Vaud, par exemple, ne semblent être disposées à évacuer un immeuble occupé que si une décision d’un tribunal les y invite», relevait Olivier Feller.

«Il ne faut pas attendre avant d’y aller»

Le conseiller national ajoute aujourd’hui: «Le but est de procéder à une évacuation sans passer par la procédure judiciaire dans les heures qui suivent le début de l’occupation. Le Conseil fédéral ne veut pas indiquer un délai – le parlementaire avait proposé 24 à 48h –, mais dit que le propriétaire doit agir dès qu’il a pris connaissance du squat. Autrement dit, il ne faut pas attendre trois semaines avant d’y aller.»

Dans la pratique, on sait que la police est soumise à l’autorité politique. Une fois le Code civil modifié, va-t-elle agir? «Dans l’application de la loi, la police n’a pas à attendre les injonctions politiques. Pour les mêmes raisons, la police va-t-elle renoncer à amender un automobiliste qui a mal parqué sa voiture?», déclare Olivier Feller.

Une chose est certaine, la situation actuelle est insatisfaisante. Non seulement une occupation peut durer des mois, voire des années, mais les frais incombent au propriétaire et les squatters eux, rarement identifiés, narguent le pouvoir judiciaire et ceux qui en font, au final, les frais. Soit les contribuables.

Isidore Raposo