Logo

Au cœur du service des urgences

24 octobre 2014

C’est sans doute l’un des services les plus connus des établissements hospitaliers du Nord vaudois, mais beaucoup ignorent son réel fonctionnement. La Région Nord vaudois a tenté de lever un bout du voile. Bienvenue dans les coulisses des urgences de l’hôpital d’Yverdon-les-Bains.

Sitôt l’alerte donnée, toute l’équipe du service se mobilise pour préparer le box de «déchoc». Quelques minutes plus tard, à l’arrivée des ambulanciers, tout est prêt pour la prise en charge de la patiente. © Nadine Jacquet

Sitôt l’alerte donnée, toute l’équipe du service se mobilise pour préparer le box de «déchoc». Quelques minutes plus tard, à l’arrivée des ambulanciers, tout est prêt pour la prise en charge de la patiente.

Il est presque minuit et, assis là, dehors, entre l’héliport et cette grande porte vitrée par laquelle, il y a peu, les ambulanciers ont gagné le coeur du service des urgences des Etablissements hospitaliers du Nord vaudois, étrange, cette citation d’Henri Lacordaire me vient: «L’égoïsme consiste à faire son bonheur du malheur de tous».

A quelques dizaines de mètres de moi, appuyées contre la façade de l’hôpital yverdonnois, je devine, alors aidé par cette légère brise qui n’a de cesse de raviver les foyers de leurs cigarettes, deux infirmières occupées à «débriefer ». Histoire d’évacuer.

C’est que tout a été très vite. Tout juste une cinquantaine de minutes entre ce bref instant de répit et l’alerte, tombée sous forme d’un message texte sur le téléphone portable qui sert de cordon ombilical entre les urgences et le Service mobile d’urgence et de réanimation et les ambulanciers. Un bref message annonçant la prise en charge imminente, et donc l’arrivée prochaine, d’un cas de «déchoc», du nom du box, sur les douze que compte actuellement le service, spécialement équipé pour la réanimation.

Classement selon les cas

Une urgence de type 1, donc. Les plus graves, vitales, selon l’échelle de tri mise en place dans le service; un classement qui va jusqu’à 4 et sert à déterminer la potentialité de gravité de l’état du patient et, de fait, le possible temps d’attente avant sa prise en charge. Ô combien nécessaire lorsque l’on sait que 20 000 patients, un chiffre sans cesse en augmentation, côtoient le service chaque année.

Le Dr Julien Ombelli, médecin-chef des urgences, consulte l’écran sur lequel figure, entre autres, le nom de chaque patient, son heure d’arrivée et la potentialité de gravité de son état. © Nadine Jacquet

Le Dr Julien Ombelli, médecin-chef des urgences, consulte l’écran sur lequel figure, entre autres, le nom de chaque patient, son heure d’arrivée et la potentialité de gravité de son état.

Cette fois-ci? Une femme âgée, connue du service pour des problèmes cardiaques. C’est tout. Difficile, en effet, d’en savoir beaucoup plus pour l’heure. Mais finalement, peu importe, puisque, l’urgence est désormais de ne pas perdre la moindre seconde. «On a quelques minutes pour préparer le box», lâchent alors nos deux infirmières affairées à préparer le matériel nécessaire à la future prise en charge, tandis que la médecin-assistante se met en quête des informations médicales, sur la future patiente, en possession de l’hôpital.

Puis, déjà, l’ambulance arrive. La tension monte encore d’un cran. Sans tarder, les ambulanciers transfèrent la vieille dame dans le box de réanimation, dont les rideaux se referment immédiatement. Derrière, la voix posée de la médecin qui donne ses consignes. Le son horrible de ce défibrillateur qui charge avant de libérer, soudain, comme une porte qui claque, la fameuse décharge électrique. Le service retient son souffle. Rien. On recommence. Deux fois. Trois fois. Toujours rien. Impossible alors, pour nous, de ne pas repenser à cet autre cas de «déchoc», cinq jours plus tôt. A cet homme qui, malgré les efforts de toute l’équipe médicale, n’avait malheureusement pas pu être sauvé.

« La mort d’une personne n’est jamais quelque chose d’anodin »

Une des nombreuses missions des infirmières consiste également en la gestion du stock de matériel et de médicaments pour le service. © Nadine Jacquet

Une des nombreuses missions des infirmières consiste également en la gestion du stock de matériel et de médicaments pour le service.

«C’est la vie, mais, plus tard, lorsque la tension retombe, on ne peut s’empêcher d’y repenser. La mort d’une personne n’est jamais quelque chose d’anodin », avouera un des médecins assistants. Des moments tragiques auxquels, toujours, succèdent ces autres instants, ô combien particuliers, propres au service des urgences: la prise en charge de la famille, celle de la dépouille du défunt. Trouver les mots, le ton, pour annoncer le pire. Ce qui, ce soir, ne sera heureusement pas nécessaire, le quatrième choc étant finalement le bon.

Enfin, la pression peut retomber. Le temps d’un bref bol d’air, d’une cigarette, entre l’héliport et la porte vitrée par laquelle passent les ambulanciers, pour certaines. Guère plus. La vérité étant qu’aux urgences, il y a toujours quelque chose à faire. Même, entre 3h et 6h du matin, à ces heures où les patients, de manière générale, se font plus rares, voire inexistants.

Un second emploi

L’équipe médicale se concerte sur le cas d’un patient en attente de diagnostic. © Nadine Jacquet

L’équipe médicale se concerte sur le cas d’un patient en attente de diagnostic.

Des instants que l’on met alors à profit pour manger, bien sûr, partager quelques anecdotes et autres souvenirs aussi, mais, surtout, pour abattre la masse de travail administratif qui incombe, au quotidien, tant aux médecins qu’aux infirmières. Ceci de jour comme de nuit.

Chaque entrée, le moindre cas, implique la création d’une multitude de fiches qui vont, notamment, de l’identité du patient aux rapports médicaux, en passant par le compte-rendu de la consultation et un inventaire des biens que porte sur elle chaque personne hospitalisée. «Au cas où quelque chose venait à disparaître », explique une infirmière. Un quasi «second emploi» imputable, hélas, à cette triste réalité: il est désormais essentiel, même lorsque son métier consiste à sauver des vies, de prendre ses précautions en vue d’une éventuelle poursuite judiciaire. D’une possible remise en cause du traitement appliqué.

Une charge de travail supplémentaire qui, dans le pire des cas, pourrait un jour conduire à porter préjudice à l’essentiel: la qualité des soins. Puisque, bien plus qu’un cas de déchoc, la principale source de stress, pour le personnel médical des urgences, est, justement, liée à ce cumul des tâches et à la gestion de la multiplication des cas. «Le problème, par exemple, est que même s’il n’y a pas forcément de cas dont le pronostic vital est engagé dans le service, il arrive souvent que plusieurs patients puissent, d’un instant à l’autre le devenir. Alors forcément, lorsqu’un cas de type 1, qui nécessite l’attention de tout le service, se présente, cela devient potentiellement critique», lâche un médecin.

Une urgence n’attend jamais

Il n’y a pas de service d’ordre propre au service de urgences. Alors, en cas de besoin, c’est Police Nord vaudois qui fait le déplacement. © Nadine Jacquet

Il n’y a pas de service d’ordre propre au service de urgences. Alors, en cas de besoin, c’est Police Nord vaudois qui fait le déplacement.

Une situation, inhérente au métier, facilement acceptable par tous, lorsqu’il s’agit de véritables urgences. Moins, vu de l’extérieur, lorsque, comme cela est arrivé à plusieurs reprises durant ces 24 heures passées à l’hôpital d’Yverdon-les-Bains, l’entier du corps médical est alors mobilisé pour s’occuper d’un patient agressif. Qu’il soit sous l’emprise de l’alcool ou, pire, simplement excédé d’attendre, testant du même coup ce véritable talent d’empathie dont tout le personnel de cet «hôpital dans l’hôpital» se doit d’être muni. En plus, évidemment, de la patience. D’autant plus que ces colères et agacements sont souvent imputables, paradoxalement, aux patients eux-mêmes.

Une infirmière montre une plaie ouverte à la médecin-assistante (à g.) Quelques point de suture seront nécessaires. © Nadine Jacquet

Une infirmière montre une plaie ouverte à la médecin-assistante (à g.) Quelques point de suture seront nécessaires.

La réalité étant qu’une vraie urgence n’attend jamais. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, le réel mal dont souffrent les urgences est le nombre de consultations de médecine générale. Soit, toutes ces consultations pour des cas légers, qui vont du bouton de moustique au traumatisme d’un membre, en passant par un état grippal ou un mal de dos. Des consultations, près de 90% des cas lors de notre séjour, que les EHNV tentent de rediriger, autant que possible, vers un chef de clinique de médecine générale, attaché aux urgences, qui donne alors rendezvous aux patients plus tard dans la journée. Mais cela reste insuffisant.

« Je n’ai pas envie de rater le travail »

«Je préfère venir ici parce que je n’ai pas envie de rater le travail», «je n’ai pas de médecin généraliste », ou encore «je suis aux poursuites et je sais qu’ici ils me prendront », restent les explications de bon nombre des patients interrogés sur leur présence, semble-t-il inappropriée, aux urgences. Souvent les mêmes qui, quelques instants plus tard, se plaignaient de l’attente, de la non-présence d’infirmière dans le service. Ceux-là à qui j’ai, tour à tour, vainement tenté d’expliquer qu’à l’intérieur, une vieille dame, un père de famille ou un grand-père jouaient leur vie. En vain.

Alors j’ai fini par sortir et m’assoir, dehors, à une dizaines de mètres de deux infirmières occupées à «débriefer». Quand soudain, étrange, cette citation d’Henri Lacordaire me vint: «L’égoïsme consiste à faire son bonheur du malheur de tous.»

Raphaël Muriset