«Ce n’est pas une crise de la trentaine, mais une prise de conscience»
23 novembre 2023Edition N°3589
Football - Après avoir passé, au cumulé, onze ans au club, Florian Gudit a décidé de tourner la page Yverdon Sport, et quittera son poste de coentraîneur de la deuxième équipe une fois le tour automnal terminé. Pour différentes raisons.
«J’ai besoin de redevenir une personne lambda, que les gens arrêtent de me parler d’Yverdon Sport quand ils me croisent. Ma vie tourne autour du foot depuis mes 13 ans, quand je suis parti en internat au Centre sport-études de Lausanne. Je veux désormais pouvoir aller faire d’autres sports, ne pas devoir prendre ma voiture à 16h30 à Lausanne pour vite venir à l’entraînement, me retrouver dans les bouchons, puis rentrer chez moi à 21h30 pour me relever à 5h30 le lendemain.»
Il ne s’agit pas d’une décision prise sur un coup de tête. Florian Gudit y a longuement réfléchi, décidant même de continuer l’aventure quelques mois de plus après la promotion de la «deux» d’YS en 1re ligue, alors qu’il songeait déjà à arrêter durant l’été. «Il ne s’agit pas d’une crise de la trentaine, mais d’une prise de conscience, précise celui qui fêtera ses 30 ans en janvier prochain. Il y a un temps pour tout dans la vie.»
La page qu’il s’apprête à tourner est d’autant plus importante que le Covid l’a privé de ses véritables adieux en tant que joueur de la première équipe d’Yverdon Sport, alors en Promotion League, à l’issue d’une saison 2019-20 écourtée. «Je n’avais pas trop joué au premier tour, car j’étais blessé, mais j’avais fait une bonne préparation d’hiver, j’étais prêt à disputer la deuxième moitié de saison. On avait sept points d’avance, j’étais prêt à mettre fin à ma carrière de joueur sur une promotion. Je savais que je ne pourrais pas continuer en Challenge League avec le job, et ce n’est pas avec ce que l’on gagnait que j’aurais pu vivre du foot. D’autant plus que ce ne sont pas les régionaux qui ont les plus gros salaires au club, ce qui est normal.» Sauf que le championnat a été annulé en raison de la pandémie, et que les Verts se sont ainsi vu refuser la promotion.
«Ça a été une grosse frustration, d’autant plus que j’étais revenu au club, en 2015, avec l’objectif de ramener YS en Challenge League», relève l’ancien capitaine, qui n’est pas revenu sur sa décision de mettre un terme à son parcours commun avec la première équipe, et a assisté à la promotion l’année suivante, dans le kop.
«C’est important pour moi de faire comprendre aux gens que non, je ne réussis pas tout. Il y a ce que tu montres, et ce que tu vis à l’intérieur de toi.»
Il a alors rejoint la «deux» comme entraîneur assistant et joueur, avant d’en devenir coentraîneur, au printemps dernier. «J’ai traversé une période compliquée, qui a commencé en 2021 et a duré jusqu’au début de cette année. J’ai été victime d’un trop-plein et, plongé dans le travail et le foot, je n’ai pas réussi à prendre conscience de ma situation, qui a eu des conséquences dans ma vie privée. J’ai vécu une perte de maîtrise totale, sans réussir à réagir, en me renfermant sur moi-même, sans arriver à en parler. J’ai longtemps regretté cette situation et j’ai eu du mal à l’accepter. Mais cela m’a fait grandir, j’ai beaucoup appris sur moi.»
Un passage à vide désormais derrière. «Mais je tiens à l’évoquer, sans forcément entrer dans les détails, car les gens pensent que j’ai de la réussite, parce que je suis responsable d’agence (ndlr: à Lausanne, dans une société active dans le placement de travailleurs intérimaires), que j’ai fêté des promotions avec YS et Le Mont. Alors c’est important pour moi de leur faire comprendre qu’en fait, non. On vit tous des moments compliqués. Il y a ce que tu montres, et ce que tu vis à l’intérieur de toi. Tout n’est pas rose tout le temps.»
«Il faut accepter que le club évolue. Et lorsque je suis revenu, jamais je ne me serais imaginé que la deuxième équipe jouerait en 1re ligue et la une en Super League!»
Mais pourquoi avoir décidé de partir en cours de saison plutôt qu’à la fin de celle-ci? «Si j’avais continué jusqu’à l’été prochain, c’est sûr que j’aurais eu trop et que j’aurais tiré sur la corde. Je n’aurais pas été investi comme je dois l’être, j’aurais en quelque sorte triché, manqué des matches. Quand on a repris fin août, je me suis rendu compte que j’avais déjà pas mal avec le boulot. J’ai l’impression que je n’ai plus grand-chose à apporter pour l’instant, qu’il faut que je laisse ma place. Et puis, l’effectif a pas mal changé, alors que quand tu fêtes une promotion, c’est avec des joueurs avec lesquels tu as créé des liens.»
Le déclic est aussi venu des changements qui se sont produits au sein du club durant l’été, avec le départ de Mario Di Pietrantonio de la présidence et l’arrivée de nouveaux dirigeants. «Il y a moins cette attache et cette ambiance yverdonnoises à l’interne, qui comptaient beaucoup pour moi, relève celui qui a grandi à Arrissoules et qui habite dans la Cité thermale. Quand je suis revenu au club, après y être passé quand je jouais en juniors, il y avait tout à faire. La première équipe était en 1re ligue, j’ai fait venir des gens dans l’encadrement, parce qu’on m’a fait confiance et que c’est dans mon caractère d’aller de l’avant. Alors quand, des années plus tard, tu mets ta clé dans la serrure et tu te rends compte que tu ne peux par exemple plus accéder à l’espace VIP, tu te dis bon… Mais il faut accepter que le club évolue. Et lorsque je suis revenu à YS, jamais je ne me serais imaginé que la deuxième équipe se retrouverait en 1re ligue et la une en Super League! Ce que cette dernière a accompli la saison passée, c’est un truc de malade.»
S’il s’apprête à laisser le chapitre YS derrière lui, sans toutefois exclure de revenir entraîner une équipe, un jour, dans quelques années, le milieu de terrain n’en a pas totalement fini avec le foot, lui qui foule les pelouses de 3e ligue avec Champvent. «Quand je vais au FCC, je n’ai pas envie d’être titulaire, je rentre à la 70e, et ça me va très bien, parce que je ne m’entraîne pas vraiment, j’y vais pour les potes. Je vais continuer avec eux, cependant, je leur ai dit que je ne ferai pas trois entraînements, sûrement deux, mais que je suis à disposition s’il y a besoin de me faire entrer en cours de match. C’est l’ambiance, le foot dont j’ai besoin actuellement, sans pression, pour le plaisir.»
Un riche parcours à YS
Depuis qu’il est revenu à Yverdon Sport, en 2015, Florian Gudit a pratiquement toujours entraîné et joué en parallèle. «Mario Di Pietrantonio et Philippe Demarque m’ont fait une confiance aveugle. Ce dernier m’a proposé des challenges, autant avec la une, la deux, que les jeunes. Chaque année, il savait ce que j’étais capable de réaliser, ou non, et ce dont j’avais besoin. Et il y a toujours eu un respect mutuel.» Arrivé lorsque la première équipe évoluait en 1re ligue, le jeune joueur a mené la «deux» au même échelon à l’issue de la saison dernière, en tant que coentraîneur cette fois. La boucle est bouclée.
2015-16: 5e en 1re ligue comme joueur; entraîneur assistant en FE14.
2016-17: promotion en Promotion League (PL) comme joueur; assistant en FE14.
2017-18: 3e en PL comme joueur; assistant en M15.
2018-19: 2e en PL comme joueur; assistant en M15.
2019-20: 1er de PL à la trêve avec sept points d’avance comme joueur, championnat annulé (Covid); assistant en FE14.
2020-21: rejoint la «deux» en 2e ligue comme joueur et assistant, promotion en 2e ligue inter; assistant en FE14.
2021-22: 7e en 2e inter comme assistant joueur; assistant en FE14.
2022-23: promotion en 1re ligue, 1er tour comme assistant joueur, 2e tour comme coentraîneur.
2023: 1er tour comme coentraîneur en 1L.
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C’est le nombre de sélections en équipes nationales juniors que compte Florian Gudit. «Je suis me suis rendu dans des pays dans lesquels je n’aurai jamais été sinon, par exemple l’Estonie ou le Monténégro. Je me rappelle d’une fois en Finlande, j’étais avec Yvon Mvogo dans la chambre, on dormait dans un hôtel au milieu de la forêt. Il a plu et il y a eu du brouillard pendant cinq jours, on était enfermés là-bas entre chaque match… J’ai aussi joué contre l’Allemagne en M16 devant 8500 personnes, et je pense que je n’ai encore jamais réalisé tout ça. Car j’ai toujours foncé tête baissée, je n’ai jamais pris de recul dans ma vie. C’est maintenant que je vais pouvoir le faire, regarder dans le rétroviseur tout ce que j’ai fait et me dire que c’est pas mal – même si je n’ai pas gagné la Ligue des Champions, hein –, pour mon niveau et les qualités que j’avais.» Parmi les souvenirs marquants, son premier match avec le maillot rouge à croix blanche. «C’était à Courtepin, contre le pays de Galles. J’avais 14 ans, il y avait toute ma famille, et je les revois encore en face de moi pendant que l’hymne national résonne.»