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«Ce serait un autogoal total»

10 avril 2021

Claude Baehler, président de Prométerre, était en visite à Yverdon. Avec un message clair: l’agriculture suisse fait déjà énormément d’efforts en faveur de la biodiversité.

De très nombreux agriculteurs de la région militent depuis plusieurs semaines en faveur du «2xNON» aux initiatives du 13 juin prochain. Claude Baehler est venu les soutenir récemment.

Pourquoi le monde agricole s’oppose-t-il massivement à ces deux initiatives?

Il est tout simplement impératif de voter deux fois non. Ces deux initiatives, si elles passaient, feraient l’effet d’un tsunami pour les agriculteurs et les consommateurs. Parce que nous, les agriculteurs, nous sommes à la base de la production, mais si celle-ci diminue, le consommateur serait lui aussi fortement touché.

Quelle serait l’ampleur de la diminution annoncée?

Nous estimons qu’elle serait de 30%. Et si cela devait être le cas, alors on ne pourrait plus assurer le minimum vital pour la population suisse. Le taux d’approvisionnement va baisser en dessous des 2000 calories dont a besoin une personne en Suisse.

Importer des produits n’est pas impossible…

Oui, on peut importer, bien sûr. On peut être dépendants de situations qui changent à l’étranger. Si ça vous paraît une bonne solution… L’an dernier, 820 millions de personnes étaient sous-alimentées dans le monde, 90 fois la population suisse. Quel message envoie-t-on si l’on dit au reste du monde que l’on ne peut plus produire assez en Suisse et qu’on doit aller chercher notre nourriture ailleurs? Sans même parler du CO2… Plus on importe, plus l’impact sur l’environnement sera grand! Et tout ceci sans compter que nous sommes bien en avance sur les pays étrangers en termes de protection de l’environnement et de la biodiversité. Ce serait un autogoal total.

Vos opposants parlent d’efforts à effectuer pour l’écologie…

Les efforts, on les fait! 120 projets sont aujourd’hui à l’étude au niveau national, tous destinés à diminuer notre impact sur l’écosystème. La production intégrée, cibler les produits, la rotation des cultures, l’agriculture de conservation: tous ces éléments-là, et bien d’autres, prouvent que nous faisons attention à ces questions. Mais il faut du temps… Une rotation de cultures se fait sur six à sept ans suivant la grandeur de l’exploitation. Nous sommes en phase de diminution de notre impact sur l’écosystème, nous partageons ce combat. Mais si ces initiatives passaient, tout s’écroulerait.

Quelle est la part du bio en Suisse aujourd’hui?

A peine 15%. Et il y a une différence de prix de 30% environ. Si tout devient bio, le prix de l’alimentation va grimper en Suisse! Est-ce que c’est une bonne idée, surtout en temps de crise?

Pourtant, certains agriculteurs annoncent qu’ils vont voter oui…

Parce qu’ils n’ont une vision que sur leur exploitation.

Pensez-vous, en cas de oui, que des paysans suisses devraient cesser leur activité?

C’est inévitable. Ceux qui sont en fin de carrière arrêteront. Mais, parmi les plus jeunes aussi, j’en sens beaucoup qui sont découragés par les critiques qu’ils reçoivent, par le climat autour d’eux. La population critique ceux qui la nourrissent et je trouve cela regrettable. Marchons main dans la main et construisons ensemble l’agriculture de demain, au lieu de vouloir tout balayer.

 

Les initiatives phytos: explications

 

Le 13 juin, la population suisse devra s’exprimer sur deux initiatives portant sur les produits phytosanitaires. Mais concrètement, de quoi parle-t-on?

Une des deux initiatives, intitulée «Pour une eau potable propre», vise à modifier partiellement l’article 104 de la Constitution suisse (Cst). En résumé, elle propose d’améliorer la protection de l’environnement et de l’eau potable. En d’autres termes, la Confédération devra arrêter d’octroyer des aides directes aux agriculteurs qui utilisent des pesticides et des antibiotiques régulièrement ou à titre préventif. Pour bénéficier de subvention(s), l’exploitant devra apporter «la preuve qu’il satisfait à des exigences de caractère écologique, qui comprennent la préservation de la biodiversité, une production sans pesticides et des effectifs d’animaux pouvant être nourris avec le fourrage produit dans l’exploitation». En revanche, l’état peut encourager la recherche, la vulgarisation et la formation agricoles et octroyer des aides à l’investissement si les mesures suivent les principes d’une agriculture durable. Le texte prévoit un délai de huit ans, dès acceptation de la votation, pour mettre en œuvre ces changements et permettre au monde agricole de s’adapter.

La seconde initiative prévoit de bannir les pesticides de synthèse dans les domaines suivants: l’agriculture, la production et la transformation des denrées alimentaires, l’entretien des espaces verts publics et des jardins privés, et la protection d’infrastructures telles que les voies de chemin de fer. A noter que l’importation à des fins commerciales de denrées alimentaires produites à l’étranger à l’aide de pesticides de synthèse ou contenant de tels pesticides serait, elle aussi, interdite. Un délai de dix ans est fixé pour cette transition. Durant cette période, le Conseil fédéral pourra déroger à cette règle si les denrées importées «sont indispensables pour repousser une menace fondamentale pour les hommes ou la nature, notamment une pénurie grave ou une menace exceptionnelle pesant sur l’agriculture, la nature ou les hommes».

Rédaction