Le combat juridique pour la préservation des baraques de pêche d’Yvonand continue. Samedi, les membres de l’Association des propriétaires du Village des pêcheurs se sont réunis autour des cabanons pour faire le point sur cette lutte de longue haleine.
Texte: Robin Badoux | Photos: Michel Duvoisin
L’ambiance était amicale et familiale autour des cabanes de pêche ce samedi. Les propriétaires des petites baraques, assemblés en association, y ont réuni amis, soutiens et invités pour une rencontre qui a permis de faire le point sur la situation juridique du site. Mais si l’atmosphère était décontractée, les propos ne l’étaient pas forcément : « Nous ne voulons pas être les complices de la violation d’une ordonnance fédérale ! » a notamment affirmé Arnold Ottonin, président de l’association.
Cela fait maintenant plusieurs années que le Canton de Vaud et les propriétaires des cinq cabanes de pêche situées aux abords d’Yvonand, près du delta de la Menthue, luttent dans un long bras de fer juridique.
Une situation qui découle de la volonté de l’Etat, depuis 2020, de voir disparaître ces quelques baraques, situées dans la réserve de la Grande Cariçaie, qui se heurte à la détermination des propriétaires actuels afin de préserver ces cabanons, témoins architecturaux des activités lacustres du siècle dernier.
Dialogue de sourds ?
Au fil des mois, les propriétaires ont eu le temps de trouver de nombreux soutiens, sous la forme de plaidoyers ou de dons. Ces derniers permettent notamment de financer le long processus juridique qui s’est engagé. Au rang des arguments chocs formulés par les défenseurs des cabanons: une Ordonnance fédérale de 1996 qui affirme que le Village des pêcheurs est identifié comme un objet de valeur devant être maintenu dans ce site marécageux protégé. « Selon notre expert, cet argument fédéral pèse plus lourd que les revendications de l’Etat, affirme Arnold Ottonin, président de l’association. Cette ordonnance est toujours d’actualité. Les cantons de Fribourg et Vaud doivent la respecter. C’est notre combat de le faire admettre par un État de droit. »
Arnold Ottonin ainsi qu’une partie des propriétaires des baraques de pêche ont profité de la rencontre de samedi pour ouvrir les portes des maisonnettes, construites entre 1940 et 1977. L’idée était alors de présenter à tous la richesse de ces lieux, où tout est resté en place, comme figé dans le temps. Ces baraques revêtent ainsi une grande importance patrimoniale selon les propriétaires, mais aussi architecturale. « Les poutraisons utilisent les mêmes techniques que sur sur les sites palafittiques, reconnus au patrimoine mondial de l’Unesco. Ici, nous avons un témoignage encore visible de ce qui se faisait autrefois. »
Des arguments qui font mouche auprès de l’Etat ? « Non. Le Canton fait la sourde oreille et refuse d’entrer en négociation. »
De son côté, l’Etat, propriétaire du terrain, affirme que ces cabanes doivent disparaître afin de protéger l’écosystème et rendre à la nature ses droits sur cette zone de la Grande Cariçaie.
Actuellement, l’Etat poursuit les propriétaires devant le Tribunal des baux et argumente que l’endroit n’a plus de raison d’être, étant donné que les cabanes ne se trouvent plus au bord de l’eau, comme autrefois, et qu’il n’y a plus de pêcheur ici. « Pourtant le village est bien vivant, réfute Arnold Ottonin. Pierre-Alain Chevalley y continue ses activités de pêche, malgré le fait qu’il possède sa pêcherie au village. »
Nombreux soutiens
Durant l’année écoulée, les défenseurs du lieu ont récolté de nombreux dons financiers, pour préserver l’endroit et continuer la lutte juridique, mais aussi de nombreux plaidoyers. Certains de ces alliés étaient présents samedi, comme Carinne Bertola, ancienne conservatrice du Musée du Léman de Nyon, qui a rédigé un rapport en faveur du Village des pêcheurs, ou Jeannette Regan, membre active des Aînées pour le climat. « Je souhaite simplement dire que la protection de ces bâtiments historiques n’est pas incompatible avec la protection de la nature. Mais il faut en discuter et utiliser notre intelligence collective pour trouver des solutions », affirme celle qui, avec ses camarades, avait remporté une grande victoire devant la Cour européenne des droits de l’homme en avril.
Malgré une cote de popularité en hausse pour le village, « c’est le pot de terre contre le pot de fer, remarque Arnold Ottonin. L’Etat n’a aucune sensibilité pour notre cause. On assiste à une tentative d’éradication d’un patrimoine qu’on va regretter. L’Etat a refusé à deux reprises de nous recevoir pour en parler et amorcer une négociation. Le Canton a d’ailleurs réalisé un projet de renaturation de l’embouchure de la Menthue, mais il ne peut être mis en œuvre tant que nous serons là », affirme Arnold Ottonin, qui ajoute que c’est avant tout le dialogue qui est recherché avec les autorités : « Nous ne sommes pas des militants, nous ne sommes pas des grognons. Nous voulons simplement la justice, et l’opportunité de travailler main dans la main avec l’Etat pour valoriser ce patrimoine unique et le rendre à la population. »