Cet Icare-là ne s’est pas brûlé les ailes
25 avril 2014Auteur d’un tour du monde à bord de son véhicule solaire iCArE, en 2009, Marc Muller est venu présenter son périple, dans le cadre des Jeudis de Grandson. Une aventure guidée par l’envie de découvrir différentes approches du développement durable.
Drôle d’audace que de nommer son engin du nom de celui qui, dans la mythologie grecque, se serait brûlé les ailes à vouloir trop s’approcher du soleil, lorsqu’on envisage un tour du monde en solitaire avec comme seules énergies le vent et le soleil. C’est que, à l’âge de 25 ans, de l’audace Marc Muller n’en manquait pas. Diplômé d’un master en gestion d’entreprise et d’études d’ingénierie énergétique et environnementale, effectuées à Yverdon-les-Bains, le jeune homme travaille alors pour l’État vaudois. Il se lasse du discours politique souvent négationniste et nombriliste de l’époque en matière de développement durable, considérant que la Suisse n’avait pas à produire d’efforts particuliers en matière d’énergie verte.
20 000 km grâce au soleil
«La responsabilité était alors renvoyée aux autres pays, soit disant plus pollueurs, expose Marc Muller. J’ai donc eu l’envie d’aller à la rencontre de ceux à qui ont lançait la pierre afin de voir de quelle manière ils envisageaient la notion de développement durable.» Le Vaudois crée donc sa propre association, part à la recherche de sponsors et fabrique sa voiture solaire. Un projet à hauteur de 500 000 francs pour lequel collaboreront, entre-autres, l’Heig-VD, les entreprises Léclanché et Romande énergie, ainsi que le réseau professionnel Swiss Engineering.
Mais ce jeune ingénieur n’en reste pas là. Il se forme rapidement au journalisme, afin de pouvoir retranscrire son voyage dans les colonnes du journal La Liberté et sur la chaîne de télévision La Télé. Il se crée un réseau étendu de contacts qui puissent lui venir en aide pour tous les pépins administratifs et techniques qu’un tour du monde implique. «Lorsque l’on se retrouve seul, sans batterie électrique, en plein milieu du désert, on est bien content de pouvoir téléphoner à l’autre bout du monde pour obtenir de l’aide auprès de spécialistes», rigole-t-il.
Des anecdotes, Marc Muller n’en manque pas pour mettre en lumière les différentes conceptions qui s’entrechoquent parfois au gré des continents, lorsqu’il s’agit d’imaginer les rapports des hommes entre eux et avec la nature. «Je suis parti un peu naïf, au départ d’Yverdon, dans l’esprit de rencontrer des gens de différentes couches sociales qui puissent me parler de leur vision de la nature et de l’environnement, explique-t-il. Mais j’ai été très vite confronté à la réalité. En Tunisie, dirigée alors par Ben Ali, tout m’a été confisqué à la douane, car on m’a pris pour un journalisme.
Puis ma voiture été bloquée deux mois à la douane maritime de New York car, en provenance d’un pays musulman, son container paraissait suspect. D’ailleurs, je n’ai jamais dû payer autant sous la table, en pénalités et autres frais, que pour entrer aux États-Unis : 15 000 dollars ! J’ai également été victime d’une attaque à main armée en Equateur.»
Pas une sinécure, donc, que de traverser 25 pays, de parcourir environ 20 000 km sur quatre continents, dans un espace aussi contigu que celui d’une voiture. «Elle était devenue mon lieu de vie.» Mais, avant tout, le moyen de se découvrir et de découvrir que nos schémas de pensée occidentaux ne peuvent être remis en question en matière de développement durable.
Un mode de pensée différent
«Le but de mon expérience était de me confronter aux idées des autres, indique-t-il. Je l’ai démarrée avec une vision très européenne de l’écologie, influencée par le domaine technique et technologique.
Rapidement, au fil de mes rencontres avec différents responsables politiques, mais également avec des paysans, des responsables de projets ou de simples citoyens, mon mode de pensée a changé.» Ainsi, Marc Muller donne aujourd’hui une grande importance à la vision que l’on retrouve souvent en Amérique latine.
Là-bas, la problématique environnementale est avant tout tournée vers ses aspects sociaux, vers un rapport direct avec la nature -la Pachamama- et revient souvent sur la question des rapports Nord-Sud, notamment en matière de ressources primaires. De plus, les projets et les idées viennent presque exclusivement du bas, de la société, et non du monde politique. L’importance est mise sur la qualité de vie des gens et non sur une recherche d’accumulation de richesses et de ressources. C’est cet état d’esprit qui inspire et habite désormais celui qui travaille aujourd’hui à l’Office fédéral de l’énergie, à Berne. «Ma rencontre avec les Amish m’a beaucoup marquées par exemple, avoue-t-il. Etonnement, il sont un peu le miroir de notre société moderne, car ils se sont posé les questions que l’on se pose aujourd’hui, il y a des centaines d’années déjà. L’expérience réussie du téléphérique Metrocable à Medellin m’a aussi frappée. La mobilité est au coeur du développement durable.»
Revenu boucler la boucle à Yverdon-les-Bains, en bonne santé et plein de nouvelles convictions, Marc Muller ne se sera donc pas brûlé les ailes, malgré les nombreuses difficultés auxquelles il a dû faire face.