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Champagne jette l’éponge
Albert Banderet est certes déçu, mais fier de sa «guerre de trente ans». © Michel Duperrex

Champagne jette l’éponge

9 mars 2023

Les vignerons renoncent à recourir auprès de la Cour européenne. Mais ils ont gagné la sympathie du public.

 

Au terme d’une ultime bataille menée avec le soutien du Conseil d’Etat vaudois – et de leur commune –, conclue par un arrêt du Tribunal fédéral qui leur était défavorable, les vignerons de Champagne, réunis en assemblée, ont décidé de renoncer à recourir auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. En effet, les chances de succès auraient été minces. Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne remporte aux points un combat juridique digne d’un marathon puisqu’il a débuté au lendemain de l’entrée en vigueur des accords bilatéraux. Mais au baromètre de la sympathie, les producteurs de la petite commune vaudoise l’emportent largement.

«On ne poursuit pas, on tire la prise!» Préfet honoraire et ancien syndic de Champagne, Albert Banderet confirme la décision prise lors d’une assemblée de la Communauté de la vigne et du vin de la Commune de Champagne, qu’il préside.

Si on note un brin de déception, le président est surtout fier du chemin parcouru. «Je vais rédiger un document pour qu’il en reste une trace», précise Albert Banderet. Car rarement un petit village aura aussi bien défendu sa peau face à au conglomérat des producteurs de la Champagne française. Et puis, sait-on jamais, l’histoire réserve parfois des surprises.

Pour Albert Banderet, les autorités communales et leurs avocats, il était exclu d’aller à Strasbourg sans le soutien des producteurs. Ces derniers ont d’ailleurs été les principaux financeurs de la bataille juridique dans laquelle plus de 100 000 francs ont été engagés à ce jour!

Après une première séance en petit comité, consistant à évaluer les éventuelles chances de succès d’une démarche à Strasbourg, les responsables des démarches juridiques ont présenté les différents scénarios aux membres de la Communauté, érigée en association. Ceux-ci ont librement décidé d’en rester là.

Chez les combattants de la première heure, cette décision pouvait nourrir un brin de frustration. Mais il faut se rendre à l’évidence. Depuis les années nonante, une nouvelle génération a pris la production en mains et du moment qu’elle écoule ses vins, le combat pour l’appellation, bien que légitime, devient secondaire.

«On suit la décision des vignerons. Et puis notre avocat nous a expliqué qu’on n’était pas du bon côté pour aller devant les instances européennes. En résumé, on n’a pas la qualité pour recourir», explique Fabian Gagnebin, syndic de Champagne.

Du côté des autorités communales, il y a certes un peu d’amertume, car le combat est légitime. D’ailleurs, le syndic n’a pas totalement abandonné l’idée de trouver une solution: «Cela fait partie de notre programme politique, mais il faut laisser passer un peu de temps. Peut-être pourrait-on trouver une solution par le dialogue? L’idée serait d’aller discuter chez eux. Car ils ont sans doute aussi vécu un changement de génération. Mais je le répète, je pense qu’il faut laisser passer un peu de temps.»

Du côté de la Champagne française, l’idée est d’en découdre pour anéantir toute résistance. Ainsi, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) et l’importateur suisse ont assigné Eric Schopfer, le producteur du «Champagnoux».

L’organe de défense de l’appellation française s’était attaqué en son temps aux flûtes de Champagne. Le CIVC ne veut manifestement rien laisser passer et il a appliqué la tactique de la terre brûlée. Mais le producteur du Champagnoux, ancien champion de judo, est déterminé à une nouvelle passe sur le tatami de la justice…

 

Les étapes d’un interminable bras-de-fer

 

A l’heure où Albert Banderet se prépare à aborder la dissolution de la Communauté de la vigne et du vin de la Commune de Champagne, il tient à rendre hommage à tous ceux qui ont soutenu ce juste combat, depuis 1996, moment où l’Union européenne a exigé l’interdiction de l’utilisation du terme Champagne pour les produits ne provenant pas de la région française.
Alors que la négociation des bilatérales touche au but, en 1998, Jacques Chirac accentue la pression sur le Conseil fédéral. Ce dernier a surtout le souci de préserver les intérêts de Swissair et sacrifie ceux de la commune nord-vaudoise.

Les dirigeants de la défunte compagnie d’aviation tentent l’apaisement en baptisant un Airbus A319 au nom de Champagne. Albert Banderet se souvient d’un débat à la télévision suisse alémanique, moment choisi par un représentant de la compagnie pour lui annoncer le baptême, et d’un vol d’une heure, au-dessus du pays, en compagnie du patron de Swissair Philip Brugisser.

Pas de quoi toutefois se laisser endormir. Les producteurs et leur syndic d’alors engagent le combat juridique, doublé d’un fort soutien politique, manifesté notamment par des interventions parlementaires du popiste Josef Zisyadis et de l’UDC Oskar Freysinger. Plus tard, Frédéric Borloz, alors conseiller national, continuera à soutenir le combat de Champagne à Berne.

Le Conseil d’Etat vaudois, sous l’impulsion de Philippe Leuba, s’est lui aussi engagé en créant les bases réglementaires de l’appellation, suscitant une vive réaction de l’Office fédéral de l’agriculture, et celle, juridique, du comité de défense des intérêts français, qui est à l’origine de l’ultime épisode judiciaire.

Albert Banderet ne cache pas que sans le concours avisé du professeur Pierre Mercier et des professeurs belges de droit européen Michel et Denis Waelbroeck, ainsi que plus récemment de Me Sauteur, avocat de la Commune de Champagne, de telles démarches auraient été impossibles.

Isidore Raposo