Vuarrens – Le célèbre empereur mort le 28 janvier 814 avait inventé l’école. Son homonyme, Charles Magne, a imaginé pour sa part de subtiles recettes pour parfumer ses pâtes mi-dures, qu’il fabrique avec autant de passion que ses gruyères.
«Bonjour, moi c’est Pépin le Bref, elle Berthe au grand pied et Charlemagne est derrière!» A la Fromagerie du Gros-de-Vaud, à Vuarrens, Maxime Blanc a le sens de l’accueil. C’est que le chef de la fabrication et sa collègue vendeuse Savanna Fiaux ne travaillent pas pour n’importe qui puisque leur patron est l’homonyme de l’illustre roi des Francs, mort il y a exactement 1205 ans. A une petite différence orthographique près, puisqu’il s’appelle Charles Magne. Depuis l’ouverture de la fromagerie, en 2010, c’est lui qui règne sur le site, où 4,5 millions de kilos de lait, issus de treize producteurs, sont transformés chaque année. Sauf qu’il n’a de souverain que le nom. Aussi discret que modeste, Charles Magne n’a rien d’un empereur plein d’ego. «Il ne m’a rien laissé», sourit celui qui dirige une équipe de huit personnes.
«Les gens ne me croient pas!»
Il n’empêche, avec un nom pareil, difficile de l’oublier. «Quand je dis que je travaille à la fromagerie de Vuarrens, on me répond: Ah, chez Charlemagne!», poursuit Maxime Blanc. Même s’il n’en fait pas toute une histoire, Charles Magne reconnaît lui-même qu’on se souvient généralement de son nom, une fois passée la surprise des présentations: «Les gens pensent souvent que je fais une farce, ils ne me croient pas!»
Son prénom, le Chavornaysan de 54 ans, qui a grandi à Ursy, dans le canton de Fribourg, le doit pourtant à son grand-père paternel. Quatrième d’une famille de six enfants, c’est lui qui en a hérité. Un aïeul qui lui a également légué un lieu d’origine sur-mesure: «Je viens du village de La Magne (FR), il faut le faire!», glisse le fromager. C’est pourtant sous le nom de Charly qu’il se fait généralement appeler. Si bien que son nom, on ne lui en parle pas tant que ça, même si ses petits camarades de l’époque l’ont parfois tancé sur le fait qu’ils devaient leur présence en classe à son célèbre homonyme. «Avec des sots comme vous, il fallait bien que quelqu’un invente l’école!», leur répondait alors le jeune Charles.
Pour le reste, l’histoire du célèbre personnage ne l’intéresse pas plus que ça. «Je sais qu’il a été couronné en l’an 800, mais c’est tout», note le quinquagénaire. Son truc à lui, c’est son travail, le même que celui qu’exerçait son parrain. Fils de paysans, il a su très tôt qu’il transformerait le lait avec passion, lui qui n’a pris qu’une semaine de vacances en huit ans. A le voir s’animer, les yeux brillants, autour des cuves remplies d’une onctueuse masse lactée, on comprend que sa place ne serait nulle part ailleurs. Alors qu’il décrit consciencieusement le processus de fabrication du gruyère – qui représente 99% des meules – et des fromages aux épices (poivre et curry, ail des ours, piment et paprika) qui prennent forme entre ses mains, l’homme jusque-là plutôt réservé devient tout à coup volubile, entraînant son interlocuteur dans une histoire dont s’exhalent senteurs et saveurs. Des produits qui font la réputation du lieu, même si le fabricant n’est jamais très loin: «Parfois, des gens viennent à la fromagerie et disent: Je veux du Charlemagne», glisse le patron.