Territoire – Les nouveaux plans d’affectation communaux, les fameux PACom, fleurissent sur les piliers publics. Des dossiers compliqués à lire, mais qui impactent profondément de nombreux propriétaires de la région.
Petit à petit, toutes les communes du canton doivent y passer. Avec l’entrée en vigueur de la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) en 2014, chacune d’entre elles doit réviser son plan général d’affectation, aujourd’hui appelé plan d’affectation communal(PACom), qui définit notamment ce que l’on peut, et surtout ce que l’on ne peut pas, construire sur le territoire. Avec un objectif principal pour une grande partie des villages de la région: réduire la «zone à bâtir», ces espaces où l’on peut construire des bâtiments. Et la tâche n’est pas simple pour les différentes municipalités.
Devoir face à la loi, exigences du Canton, parfois aussi révolte des propriétaires qui voient les économies d’une vie s’envoler lorsqu’il devient impossible de construire sur une parcelle qui leur appartient… La complexité des dossiers est hallucinante et tout le monde ne réagit pas de la même manière. Dans le Nord vaudois, deux villages ont opté pour des stratégies bien différentes, afin de protéger les intérêts de leurs habitants. Alors que Tévenon a joué la sécurité face au Canton, de peur de perdre encore plus, Valeyres-sous-Rances a mis à l’enquête un plan plus ambitieux, quitte à peut-être perdre du temps et de l’argent.
«L’autonomie des communes est en danger»
«Les services du Canton sont aveuglés par les surfaces d’assolement, au point d’en oublier les autres objectifs de la LAT, dont le développement de la commune, qui doit être prioritaire.» D’entrée de jeu, Roland Stalder (en photo) avait posé le décor, le 26 janvier dernier, lors de la présentation à la population du PACom, toujours à l’enquête, à Valeyres-sous-Rances.
Et le syndic avait été clair: certaines retouches du Canton seront prises en compte… mais pas toutes! «Nous avons dézoné 5 hectares. Nous estimons que la contribution de Valeyres-sous-Rances à la protection des surfaces d’assolement est largement suffisante. Mais les objectifs de la LAT tiennent plus de l’autosatisfaction intellectuelle que d’une analyse en lien avec la réalité du terrain.»
Et Roland Stalder d’insister sur le rôle de chacun dans le domaine. «L’autonomie communale est en danger! La Commune n’est pas receveuse d’ordre d’un service du Canton en matière d’aménagement du territoire. C’est elle qui décide, et les services s’assurent que la loi est respectée. Or je suis sûr que nous l’avons fait. Après, si on prend toutes les fiches techniques du Canton, il y a toujours des points où l’on peut discuter. Mais il faut relativiser les désaccords avec les services de l’État. Il n’y a pas une grande divergence entre notre PACom et leurs requêtes.»
Sur ces quelques divergences, la Commune ne cédera pas facilement: «Nous n’avons pas peur de la discussion. Et s’il faut aller plus loin, devant un tribunal, alors nous irons. Nous avons des arguments.»
La Municipalité déplore une chasse au mètre carré des zones agricoles, sans lien avec la réalité du terrain. «Pour faire appliquer la loi, il faut des outils, à l’image du taux de croissance annuelle de 0,75%, je le comprends. Mais cela doit rester un outil, que l’on doit adapter à la réalité de chaque situation. Là, l’outil devient la loi! Nous n’agissons pas ainsi pour faire plier le Canton. S’il y a une discussion argumentée autour d’une parcelle que l’on devrait passer en zone agricole, nous sommes à l’écoute. Mais si c’est simplement pour respecter un quota… là, c’est plus difficile à entendre.»
Mais la Municipalité a-t-elle réellement une chance devant le tribunal? «Oui, je le pense vraiment. Et même si on perd, les frais ne seront pas énormes. C’est simple, si on veut prendre zéro risque, on ne fait rien et le Canton agit à notre place. Est-ce bien ce que l’on veut?»
«Une petite commune comme la nôtre ne peut pas se permettre d’aller contre le Canton»
Après plusieurs désaccords et discussions au sein de son Conseil général, la Commune de Tévenon a reçu l’accord final de l’Etat de Vaud pour son PACom le 10 janvier 2022. Lors de sa mise à l’enquête l’année passée, le projet avait fait l’objet de 29 oppositions de propriétaires dont les parcelles étaient touchées par ce nouveau plan.
«Nous avons décidé de suivre les directives du Canton, ce qui a créé beaucoup de tensions au sein de la commune», explique Aude Forand, syndique de Tévenon (en photo). «Je comprends que certaines personnes ne soient pas satisfaites du PACom. Je sais que le rapport à la terre, c’est quelque chose de très fort. Mais on se doit d’avoir des critères qui sont les mêmes pour tout le monde.»
Selon elle, le mécontentement des propriétaires est légitime. Mais elle sait également que le Canton est inflexible à ce sujet. «Si nous n’étions pas arrivés à un accord, le Canton aurait créé le PACom lui-même, et à nos frais. Une petite commune comme la nôtre ne pouvait pas se le permettre. On avait déjà énormément dépensé pour ce PACom.»
De plus, Aude Forand pense que l’État voulait montrer «qu’il ne se laisserait pas marcher sur les pieds», Tévenon étant l’une des premières communes vaudoises à réviser son plan. «Aujourd’hui, les communes n’ont plus vraiment d’autonomie. En nous laissant moins de marge de manœuvre, je pense que le Canton veut s’assurer que chaque citoyen est traité de la même manière», ajoute-t-elle.
Le Canton ayant validé le PACom, il n’est plus du ressort de la Municipalité de traiter les mécontentements. Il faut passer par les instances juridiques. Et à ce stade-là, la probabilité d’obtenir gain de cause au tribunal est très faible, selon Aude Forand, notamment pour les propriétaires de longue date: «Celles et ceux qui avaient un terrain depuis longtemps ont peu de chance d’être dédommagés.»
La révision du PACom est un sacré dossier pour l’exécutif, et sa conclusion permettra à la commune de redémarrer. «On se réjouit d’arriver au bout, car tant que tout n’est pas réglé au niveau du plan, tous les autres travaux sont bloqués.»
Le commentaire de Massimo Greco:
Le sale boulot de municipal
On est toujours plus intelligent après… Des deux Municipalités que nous avons interrogées, et dont la position face au Canton diffère passablement, une n’a pas pris la décision la plus avantageuse. Mais bien malin celui qui pourra prédire laquelle. En se rebellant un peu contre les services de l’État, Tévenon aurait-elle pu obtenir plus? La lutte de Valeyres ne va-t-elle pas simplement lui coûter des milliers de francs de frais de justice? Impossible à savoir. Mais un fait semble assez clair: peu importe la méthode finale, ces deux exécutifs ont agi dans l’espoir de limiter les dégâts inévitables que la révision de la LAT provoquera. Peut-être en commettant des erreurs de jugement. Mais face à un dossier aussi sensible que complexe, face à des intervenants aux intérêts divergents, les deux communes ont dû résoudre l’insoluble et sont, logiquement, arrivées à des solutions différentes. Être municipal, c’est aussi faire le sale boulot. Un boulot fait par des miliciens, et qui mérite d’être reconnu.