Dans les profondeurs des grottes
13 septembre 2024 | Texte: Maude Benoit | Photos: Michel DuperrexEdition N°3788
La publication d’un ouvrage sur l’extraordinaire réseau des grottes helvétiques était l’occasion d’une exploration matinale du réseau des Fées.
Quel meilleur endroit pour parler de l’ouvrage Dans les grottes de Suisse, de l’exploration à la science et des enjeux des investigations souterraines que la Grande Grotte aux Fées à Vallorbe ? C’est en tout cas là que les coauteurs du livre et quelques membres de l’Institut suisse de spéléologie et de karstologie (Isska) ont choisi de présenter leur publication.
Un ouvrage par des spéléologues, pour le grand public
Ecrire un livre sur les grottes helvétiques avec un regard scientifique, mais également didactique, c’est le défi que se sont lancé trois spéléologues : Rémy Wenger, photographe et graphiste, Jean-Claude Lalou, enseignant scientifique retraité et conteur d’histoire, et Amandine Perret, géographe et médiatrice scientifique. Cette dernière était également le lien entre les auteurs et l’Isska. Cet institut travaille à la préservation et la mise en valeur des milieux karstiques (c’est-à-dire, majoritairement composés de calcaire que l’eau a creusé en de nombreuses cavités). La publication d’un tel ouvrage s’inscrit directement dans leur travail de médiation scientifique sur le sujet.
L’ouvrage, publié en allemand et en français le 2 septembre aux éditions Haupt Verlag, aborde le sujet transversal des grottes et présente une table des matières diversifiée. On y trouve ainsi : l’histoire des grottes, de leur occupation par l’homme avec ses contes et légendes, les paysages souterrains et les milieux naturels des grottes, l’intérêt scientifique de l’exploration souterraine qu’il soit géologique, biologique ou encore archéologique, et enfin, les aventures souterraines des spéléologues et leur méthodologie de travail.
Ces thématiques sont abordées avec de très nombreuses photographies, des textes fouillés et complétés de schémas, ainsi que des incursions scientifiques et didactiques destinées aux gymnasiens et aux étudiants; de quoi contenter un public large et curieux. « Le but, c’est de montrer que l’environnement souterrain, c’est tout un univers extrêmement vaste, intéressant, beau à voir et utile à l’extérieur », précise Amandine Perret.
Si importantes, les grottes suisse ?
Les réseaux souterrains suisses majoritairement karstiques sont un sujet inépuisable. Marc Luetscher, vice-directeur de l’Isska, explique que ces réseaux représentent environ 20% du territoire suisse. Il s’agit essentiellement de la chaîne du Jura, mais aussi des Préalpes et des hautes Alpes calcaires. «Ce karst contient 40% des ressources en eaux souterraines de notre pays.» Soit un volume considérable par rapport aux enjeux sociétaux que l’on connaît aujourd’hui, explique le spéléologue. «Depuis une centaine d’années, 11 765 cavités ont été recensées en Suisse, c’est-à-dire plus de mille kilomètres de galeries.» Un nombre important, pourtant relativement anodin selon Marc Luetscher. «On pense qu’à peine 5% des cavités du pays sont effectivement connues.»
Il reste donc encore du travail pour la Société suisse des spéléologues (SSS) qui regroupe 35 clubs, soit environ mille membres. Passionnés, expérimentés ou amateurs, tous explorent les grottes sur leur temps libre. S’aventurant dans des espaces parfois exigus, parfois très profonds, les spéléologues doivent avoir du matériel et une formation efficaces. Tout au long de leurs progressions souterraines, ils mesurent, photographient, documentent et topographient les nombreux dédales souterrains.
Grâce à leur travail, ils protègent tout un patrimoine naturel comportant 53 géotopes d’importance nationale avec notamment 95 espèces vivant exclusivement en milieu souterrain. Parfois, les spéléologues doivent assainir des cavités que l’homme a utilisées comme dépotoirs. Leur travail permet ainsi de préserver cet environnement privilégié.
Mais malgré leur passion pour le monde du dessous, « personne n’apprécie mieux l’odeur de l’herbe et la fraîcheur du vent qu’un spéléologue », s’amuse Jean-Claude Lalou.
Des cavités féeriques
Le réseau des Fées, un réseau karstique à la grandeur spectaculaire, était encore largement méconnu jusqu’en 2004, annonce Ludovic Savoy, hydrogéologue, spéléologue passionné et grand connaisseur du réseau. Depuis, près de 36 kilomètres de galeries s’étendant sous la forêt du Risoud ont été découverts, ce qui en fait un des réseaux les plus grands de Suisse et peut-être même d’Europe. Si deux entrées permettent d’y accéder, les spéléologues peuvent parfois explorer les cavités pendant près de trente heures avant de ressortir et doivent parfois même monter des bivouacs souterrains.
L’une des particularités de ce réseau, c’est que c’est un réseau non fossile, c’est-à-dire que l’eau y circule encore. Il ne doit pas être confondu avec le réseau de l’Orbe. Si les deux réseaux cohabitent comme des frères dans la région, ils ne se rencontrent pas, souligne Jean-Claude Lalou.
Enfin, le dérèglement climatique est également un élément perturbateur pour l’exploration du réseau des Fées, ajoute Ludovic Savoy. Autrefois, les hivers froids favorisaient les investigations hivernales durant lesquelles les crues dans les cavités n’étaient pas craintes. Aujourd’hui, le niveau d’eau est trop haut en hiver et les orages d’été rendent ce réseau difficilement praticable. Les spéléologues concentrent donc leurs efforts durant les entre-saisons.