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«Dans trois ans, il n’y aura plus de betterave en Suisse»
Sébastien Malherbe, agriculteur à Chavornay. © Michel Duperrex

«Dans trois ans, il n’y aura plus de betterave en Suisse»

17 octobre 2020

Ce sont des paysans en colère qui se sont réunis à Chavornay autour de Sébastien Malherbe pour dénoncer les attaques qu’ils subissent au quotidien. Alors que les Suisses devront bientôt se prononcer sur plusieurs initiatives fédérales ayant trait à l’utilisation des pesticides, ils montent aux barricades pour défendre leur métier.

 

Sébastien Malherbe, agriculteur à Chavornay depuis toujours, consacre dix-sept hectares de son domaine à la culture de la betterave sucrière, une filière déjà en difficulté depuis plusieurs années et qui, aujourd’hui plus que jamais, est menacée de disparition totale.

La faute à qui? À un puceron qui transmet la maladie de la jaunisse virale. C’est devant l’une de ses parcelles couverte de feuilles jaunies que l’agriculteur mène son combat aujourd’hui. Appelés «tueurs d’abeilles», les insecticides aux néonicotinoïdes ont été interdits en Suisse et dans le reste de l’Union européenne le 1er janvier 2019. Pourtant, aucune fleur ne pousse sur les betteraves. Allez comprendre.

Pour ce producteur, c’est la goutte de trop: «On ne dispose d’aucun moyen pour éliminer le puceron et garantir une certaine production. La culture de la betterave, tout comme celle du colza, est impossible sans pesticide. Cette année, mon rendement a diminué de 50% et beaucoup de mes confrères sont prêts à tout abandonner. En attendant de trouver des alternatives, nous comptons sur une dérogation. Sinon, dans trois ans, il n’y aura plus de betterave en Suisse». En effet, il y a peu, les agriculteurs français ont obtenu l’autorisation de semer à nouveau, pendant plusieurs années, des semences de betterave enrobées aux néonicotinoïdes. Un espoir pour les producteurs suisses face à un problème qui semble emblématique de la politique agricole actuelle.

Mais Sébastien Malherbe n’est pas seul dans son combat. Il est soutenu par une communauté d’intérêts forte de plusieurs centaines de membres, les «Bauern Unternehmen» (Paysans entrepreneurs), dont plusieurs représentants se sont déplacés la semaine dernière depuis le Valais et Fribourg notamment pour le rejoindre au cœur de la plaine de l’Orbe. Ils mènent ensemble une campagne d’éducation et de sensibilisation à l’importance des produits phytosanitaires auprès du public, sous la forme de pancartes portant le slogan «Protégé». Garantir des aliments sûrs et sains par un emploi correct et modéré des pesticides, éviter une augmentation des importations et soutenir une production indigène, sont les objectifs au cœur de leur campagne face aux deux initiatives fédérales: «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse» et «Pour une eau potable propre».

Mais leur démarche a suscité des réactions agressives comme en témoigne Sébastien Malherbe: «On a détruit deux fois mes pancartes, quelqu’un y a même écrit mensonges.» «Il ne faut pas descendre tout un système qui est en place», tonne Didier Mermoud.

Cet agriculteur trentenaire venu de Poliez-le-Grand (VD) en a ras-le-bol des critiques: «Laissez-nous faire notre travail, moi je suis prêt à accueillir les gens, à leur expliquer ce qu’on fait. Peu de métiers en font autant que nous pour la biodiversité. En appliquant le système de production intégrée PI, on privilégie déjà au maximum les traitements naturels et l’utilisation des pesticides a été drastiquement réduite. Je suis préoccupé par les initiatives, car elles touchent directement à la sécurité alimentaire de notre pays sans proposer de solutions efficaces pour pallier à ces pertes de rendement. Moi, j’ai fait agriculteur pour nourrir les gens et là je suis inquiet pour le futur. »

 

Pour le maraîcher biologique Christian Bovigny, «une agriculture sans pesticide n’est pas une utopie »

 

Agronome de formation et maraîcher biologique depuis plusieurs années à Bavois, Christian Bovigny (photo) est avant tout un homme convaincu. Convaincu que l’avenir de l’agriculture en Suisse se fera sans pesticide. Il pose ainsi un regard critique, mais mesuré, sur l’action entreprise par «Bauern Unternehmen» à Chavornay.

Pensez-vous que l’initiative qui veut interdire l’utilisation de pesticides de synthèse en Suisse est utopiste ?

Non ce n’est pas une utopie ! D’ici dix ou quinze ans on y sera de toute façon même si ces initiatives sont rejetées. Les pesticides de synthèse posent toujours plus de problèmes au niveau de la biodiversité et de la santé, et ce n’est que la pointe de l’iceberg qui est visible. L’agriculture contribue à la pollution de notre environnement et a des conséquences sur les jeunes générations (cancer, perturbations du système endocrinien).

Ne craignez-vous pas une augmentation des importations au détriment de la production indigène ?

Certains pays peuvent produire des aliments bio en grande quantité grâce à un climat favorable par exemple. Nous importons déjà 50% de nos aliments qu’ils soient bio ou non, donc les paysans suisses doivent avant tout se démarquer en produisant de la qualité plutôt que de la quantité. Grâce aux subventions, ils seront également mieux rémunérés et l’on pourra assurer une stabilité au niveau des prix. Il y a assez de nourriture pour tout le monde sur la planète, le problème réside plutôt au niveau du gaspillage alimentaire.

Quel est votre regard sur la campagne que mènent les « Paysans entrepreneurs » ?

J’ai beaucoup de respect pour tous les agriculteurs. Ils représentent le pilier de notre société car ils nourrissent la population. Ils ont énormément de mérite car ils se sont toujours adaptés aux demandes du marché. La prochaine étape ne représentera pas un retour aux méthodes de nos grands-parents. Se convertir au bio, c’est également une grande fierté et un sentiment de valorisation.

Natasha Hathaway