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Jean Mayerat, de la prison à la reconnaissance

16 mai 2023

Ancien président du Conseil communal d’Yverdon, Jean Mayerat a payé cher son soutien à l’indépendance de l’Algérie. Il préface une BD consacrée à cette période.

Le temps donne raison au temps. Arrêté en 1960 à la douane des Fourgs, juste après L’Auberson, alors qu’il tentait d’introduire un journal indépendantiste en France, Jean Mayerat a passé une année à la Maison d’arrêt de Besançon (Doubs). Une bande dessinée consacrée au rôle joué par la Suisse durant cette période est préfacée par le militant.

L’an dernier, à l’occasion des 60 ans des Accords d’Evian, Jean Mayerat avait évoqué son engagement pour l’indépendance de l’Algérie, et plus largement pour la décolonisation. Le militant popiste était président du Conseil communal d’Yverdon en 1960 lorsqu’il a pris le risque de passer la frontière avec des journaux imprimés sur les presses de Pré-Jérôme, à Genève, une entreprise proche du Parti suisse du travail (PST).

Une première livraison s’était bien passée. Lors de la seconde, un dimanche de 1960, le militant a été piégé par les services français. Pourtant, la 2 CV dans laquelle avait pris place toute la famille n’avait pas de quoi, a priori, attirer l’attention. Jean Mayerat nous avait déclaré l’an dernier: «Cela se voyait sur moi. Je ne sais pas mentir.»

Résultat, il a été emmené avec épouse et enfants à Pontarlier. Si les enfants ont pu rapidement être ramenés en Suisse par un proche, il en a été autrement des adultes. Après quelques jours de détention, leur maman Anne-Marie a également été relaxée. Quant au militant, torturé durant les interrogatoires, il a été transféré à la Maison d’arrêt de Besançon.

Les aléas de l’histoire ont fait que la Suisse est devenue le territoire privilégié des négociations entre le Gouvernement provisoire algérien et les représentants français. C’est cette période de l’histoire que raconte la BD présentée le 18 mars dernier à Alger, une édition qui a bénéficié d’un fort soutien de l’Ambassade de Suisse.

Le scénario a en effet été écrit par Marc Perrenoud, historien et collaborateur durant de longues années au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Quant aux dessins, complétés par des photos et des coupures de presse, essentiellement suisses, ils ont été réalisés par l’Algérienne Bouchra Mokhtari, bédéiste originaire d’Oran, une ville où a vécu Marc Perrenoud alors que son père y exerçait le ministère de pasteur.

«Si le scénario est très fidèle aux faits, il ne s’agit pas d’une vision officielle des événements par le Gouvernement suisse», explique l’éditrice Selma Hellal.

«C’est l’Ambassade de Suisse en Algérie qui m’a demandé l’automne dernier de préfacer cette BD. C’était gonflé, parce que j’aurais pu écrire des c… Ils ont accueilli mon texte avec beaucoup de contentement», explique Jean Mayerat. Le militant, qui a fêté ses 94 ans en mars dernier, s’est simplement inspiré de son ressenti. Et lorsqu’il a reçu la BD, il y a un petit mois, il a été surpris de la précision de l’ouvrage: «Je dois dire que l’histoire racontée par cette publication correspond exactement à ce qui s’est passé. Elle exprime la réalité des faits.»

Ces faits permettent, dès l’introduction, grâce à une carte, de prendre conscience du rôle joué par la Suisse dans les Accords d’Evian en 1962, qui ne sont finalement que l’aboutissement du processus qui a conduit à l’indépendance, négociée sous l’impulsion de Charles De Gaulle. «Le conseiller fédéral Paul Chaudet était plutôt réservé par rapport à l’implication de la Suisse. C’est surtout son collègue Max Petitpierre qui a assumé cet engagement», relate Jean Mayerat.

Le militant popiste rend hommage aux auteurs: «Je n’ai pas pu aller au vernissage à Alger, car avec mes problèmes cardiaques, j’ai peur de prendre l’avion. Je trouve que l’histoire est bien écrite. Il n’y a pas de triomphalisme. Il faut dire que Marc Perrenoud a vécu à Oran, en Algérie.»

Après la proclamation de l’Indépendance, Jean Mayerat s’est rendu à plusieurs reprises en Algérie, notamment invité par l’Ambassade de Suisse. Il a, entre autres, participé à un hommage rendu il y a cinq ans à Charles-Henri Favrod. Le journaliste et fondateur du Musée de l’Elysée a en effet été un entremetteur de l’ombre. Il a conservé des liens avec des leaders indépendantistes jusqu’à sa mort.

Postier durant huit ans à Yverdon, Jean Mayerat s’est fait connaître par la suite comme cinéaste. Il est, avec Michel Bory, journaliste et auteur établi à Grandson, le fondateur de Plan Fixes, une association lancée en 1979 avec le soutien de Pierre Duvoisin, alors syndic d’Yverdon, qui a réalisé plus de 350 portraits filmés de personnalités. Lorsque Jean Mayerat a été interpellé par les autorités françaises, l’indépendance de l’Algérie paraissait encore lointaine. «Même en 1960, les policiers étaient sûrs que la France allait gagner. D’autant plus que De Gaulle avait été élu (en 1958) avec le soutien des partisans de l’Algérie française. Il y avait eu une rencontre en 1960 à Melun avec une délégation dirigée par Mohamed Boumedjal. Se sentant piégés parce qu’ils n’avaient pas le droit de rencontrer les journalistes, les Algériens ont mis fin à la rencontre», se souvient Jean Mayerat. Quelques mois plus tard, c’est à Neuchâtel et à Yverdon que les négociations, d’abord secrètes, ont pris le bon chemin.

Et le militant devenu sage de conclure: «La Suisse a joué un rôle prépondérant dans ce processus. C’est ce qu’ils devraient faire avec l’Ukraine.»

«Le long chemin jusqu’aux Accords d’Evian, souvenirs de Suisse (1960-1962).» Marc Perrenoud et Bouchra Mokhtari. Editions Barzakh (Alger).

 

«Mon épouse Anne-Marie aurait été contente»

 

En feuilletant la bande dessinée, de nombreux souvenirs reviennent. «Mon épouse Anne-Marie aurait été contente», commente Jean Mayerat. Et d’ajouter: «Elle n’est jamais venue en Algérie. Il y avait des séquelles dues aux conditions rigoureuses de sa détention. Elle préférait ne plus apparaître. Il faut dire que lorsqu’elle a été libérée, des partisans de l’Algérie française criaient A mort!»

Cette arrestation n’est pas restée sans conséquences. La famille a déménagé à Saint-Prex, puis s’est installée quelques années plus tard à Rolle. S’il ne regrette pas un seul instant son engagement pour la décolonisation, Jean Mayerat pense que dans le cas particulier, il est allé un peu loin: «J’étais président du Conseil communal. J’aurais dû faire preuve d’un peu plus de retenue. Car ce que j’ai fait, c’était illégal en France. On me l’a beaucoup reproché. Il y a eu des papiers incendiaires contre moi dans le Journal d’Yverdon. On considérait que j’étais à la solde du FLN. Pourtant, notre seul but au POP, c’était de mettre fin à la colonisation. C’est ce qui a guidé mon engagement dans cette cause.»

 

«Mémoires sous-glaciaires», au nom du fils

 

Jean Mayerat a eu la douleur de perdre un de ses enfants, son fils Etienne, des suites d’une maladie incurable. Spéléologue et guitariste, Etienne a développé une véritable passion pour l’exploration sous-glaciaire. Peu avant son décès, il a mis une touche finale à un magnifique manuscrit richement illustré par les photographies de l’auteur et de ses compagnons d’exploration, notamment Jean-François Delhom, qu’il n’a pu publier qu’en édition très limitée. Jean Mayerat s’est promis de trouver un éditeur. Contacté, Yvan Slatkine a été emballé. Mémoires sous-glaciaires est disponible en librairie.

Isidore Raposo