Projet pilote – Une première mondiale sera réalisée en terres nord-vaudoises, en septembre. Le laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL va tester son ciment bactérien, une biotechnologie qui pourrait faire évoluer le secteur de la construction.
Qu’est-ce qu’il se passe si on mélange de l’urée – une molécule de synthèse non toxique –, du calcium et des bactéries? On concocte une solution miracle qui résoudrait de nombreux problèmes, comme les glissements de terrain et l’érosion des sols. En effet, après huit années de recherche, le laboratoire de mécanique des sols (LMS) de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a découvert que ce mélange générait un ciment bactérien unique en son genre.
Et les premiers à découvrir les effets de cette mixture seront les habitants de Rances, puisque l’essai pratique va être mené, dès le mois de septembre, sur le terrain longeant la route cantonale reliant le village à Mathod. Pour rappel, en janvier dernier, un important mouvement de terrain avait déplacé quelque 2000 m3 de terre sur la route.
Plus écolo et économique
Si la Direction générale de la mobilité et des routes (DGMR) avait pris des mesures d’urgence pour sécuriser le site, désormais l’heure est à la stabilisation de la zone. Pour cela, la DGMR aurait pu utiliser une méthode traditionnelle visant à construire des infrastructures en béton et à injecter du ciment dans le sol. Mais c’était compter sans les scientifiques de l’EPFL. «Ce sont eux qui nous ont contactés, car ils cherchaient un terrain pour réaliser une première application pratique, explique Pierre Bays, chef de la division infrastructures à la DGMR. Nous entretenons de bonnes relations avec l’EPFL, alors quand ils nous ont proposé une alternative plus respectueuse de l’environnement que le béton, on s’est dit: pourquoi pas essayer? Si le test est concluant, on l’utilisera peut-être ailleurs.»
Concrètement, les chercheurs utilisent des bactéries naturellement présentes dans les sols, qu’ils lyophilisent et stimulent avant de les mélanger à un liquide contenant de l’urée et du calcium, mais dont la composition, brevetée, reste un secret bien gardé. Les bactéries vont ensuite produire une protéine qui, en se liant au calcium, transforme l’urée en cristaux de calcite. «C’est un minéral très dur et durable, précise Dimitrios Terzis, responsable scientifique au sein du LMS. Contrairement au béton, une fois le produit injecté dans le sol, les bactéries se développent toutes seules (ndlr: pour un kilo de terre, 40 grammes de bio-ciment est généré). De plus, il n’y a pas d’entretien à prévoir car le bio-ciment est imperméable et donc la zone devient plus résistante aux forces du terrain.»
D’un point de vue économique, le Canton y gagne également, puisqu’il investira 280 000 francs pour préparer le terrain avant le bio-renforcement (près de 3000 m3 de terre vont être évacués et la pente du talus rabaissée de 33 à 20 degrés environ). Mais les frais du projet pilote, soit plusieurs centaines de milliers de francs, seront à la charge du laboratoire. Son directeur, Lyesse Laloui, a d’ailleurs reçu en janvier dernier le 30e Prix Roberval Enseignement Supérieur, ainsi qu’une enveloppe de 2,5 millions d’euros par le European Research Council pour développer cette technologie. Si le bio-ciment se commercialise, il devrait coûter entre 10 et 15% moins cher que les techniques actuelles, selon Dimitrios Terzis.
Une étape décisive
Cette technologie, soutenue par plusieurs institutions et sociétés de construction, n’a été testée qu’en laboratoire. «Nous avons installé des colonnes de terre et de sable de deux mètres de haut dans le laboratoire, mais pour passer à une expérience à plus grande échelle, il nous fallait un site, poursuit Dimitrios Terzis. D’ailleurs, à Rances, nous devrons creuser des forages de deux mètres de profondeur pour atteindre le limon, qui est la partie à consolider, avant d’injecter le bio-ciment. Ce sera un vrai challenge car le sol de cette zone est différent de ce dont on a l’habitude. C’est un bon moyen de voir comment la technologie va s’adapter.»