Imaginé et conçu comme l’immeuble de demain, le projet de la coopérative d’habitation DomaHabitare a connu moult déboires, avant et après l’arrivée des premiers locataires, fin 2017.
Les arguments mis en avant sur le site internet de la coopérative DomaHabitare, à Sainte-Croix, ont tout pour séduire: emploi de matériaux à basse énergie grise – si possible d’origine locale – et sans polluants chimiques, un bâtiment entièrement alimenté par les énergies renouvelables – solaire et bois – , un concept de tri et de recyclage des déchets, une politique d’économie des ressources… Les responsables ont même réfléchi à un moyen d’améliorer les relations sociales entre locataires avec une conception et une gestion participative du projet, un mode de résolution des conflits par la médiation, une mixité intergénérationnelle, des appartements accessibles aux personnes à mobilité réduite et des locaux à usage commun, notamment. En matière économique, DomaHabitare a aussi des arguments à faire valoir, comme des logements à loyer modéré, des aides de l’Office fédéral du logement et des subventions de l’Office de l’énergie et un grand jardin potager.
Au total, dix logements en symbiose avec le développement durable. Malheureusement, de nombreux problèmes sont venus plomber l’enthousiasme des coopérateurs, à commencer par le coût du chantier qui est passé de 3,8 millions à 5 millions de francs, fin 2018. À cette période, la coopérative nord-vaudoise devait encore 450 000 francs à des entreprises et l’endettement donnait le vertige: 3,14 millions de francs de prêts bancaires et privés à fin 2018.
De l’argent public en jeu
Pascal Magnin est le secrétaire général de l’Association romande des maîtres d’ouvrage d’utilité publique (ARMOUP). Il y a une dizaine d’années, il a apporté son expertise lors de la création du projet sainte-crix. Ensuite il a ensuite été membre de la commission spéciale chargée d’élaborer des solutions, dans le but d’éviter la faillite de la coopérative. «Il y a eu un prêt d’un fonds de roulement géré par la Fédération faîtière des coopératives d’habitation suisse – Wohnbaugenossenschaften Schweiz –, à Zurich, mais qui est en fait une manne financière allouée par le Parlement fédéral, soit votée par le Conseil national et le Conseil des États. Il s’agit dès lors d’un prêt de la Confédération», précise-t-il. Nous avons contacté Kathrin Schriber, directrice dudit fonds de roulement, afin de connaître le montant exact du prêt. Sa réponse a été concise: «Je n’ai pas le droit de communiquer ce genre d’information.»
Une source anonyme, proche du dossier, n’en revient pas de ce qu’il s’est passé: «C’est une vraie gabegie. Il y a eu des erreurs à tous les niveaux: les relations humaines avec la Commune, le chantier, les normes de construction, la gestion des coûts, l’architecture, etc. De plus, il a été constaté des défaillances en ce qui concerne le chauffage. Daniel Béguin, un des pionniers du projet et ancien responsable de la coopérative, a eu la folie des grandeurs. Il a été aveuglé par son ambition de faire quelque chose d’exceptionnel. Le concept est génial et représente un modèle de logement écologique, mais trop de choses ont dysfonctionné.»
Autre pierre d’achoppement: le toit en arche. Il n’est pas conforme, car il ne possède pas deux pans, obligatoires pour les logements à Sainte-Croix. A la suite d’une dénonciation, la police avait fait stopper les travaux lors de la pose du toit. Finalement, ce dernier a été installé tout en demeurant non réglementaire. «Le toit initial a été approuvé lors de la délivrance du permis de construire, mais le bâtiment montait très haut, ce qui a déplu à des riverains qui ont fait opposition, hors procédure. Nous avons donc trouvé un compromis en proposant un toit abaissé de quatre mètres. Le problème est qu’il était difficilement réalisable et nous y avons donc renoncé. Nous avons opté pour une solution élégante, dans l’esprit de ce que souhaitaient les voisins. Quand bien même nous savions que ce toit n’était pas réglementaire, nous avons espéré obtenir une autorisation exceptionnelle de la Municipalité, dans le cadre d’un nouveau plan de quartier. L’hiver pointait le bout de son nez et nous devions poser ce toit pour protéger le bâtiment», assure Christian Jelk, l’architecte. Il croit toujours à une issue pragmatique pour le toit et rend hommage à l’Exécutif pour «sa patience et sa tolérance».
Officiellement des squatteurs
Du côté de la Municipalité de Sainte-Croix, on regrette la tournure des évènements, tout en souhaitant un dénouement favorable à la situation. La coopérative n’ayant pas obtenu de permis d’habiter, les locataires ne sont donc pas titulaires d’un contrat de bail. Jean-François Gander, chef du Service de l’urbanisme et des bâtiments, commente: «Pour délivrer un permis d’habiter en bonne et due forme, il faut que la réalisation soit en adéquation avec les plans du permis du construire délivré. Ce n’est pas le cas à ce jour puisque la toiture ne correspond pas, certains aménagements extérieurs non plus, comme le mur de soutènement et l’accès pour les voitures, et certains éléments sécuritaires tels que les garde-corps ne sont pas conformes à la norme SIA 358. Toutefois, ils sont présents sur l’ensemble du bâtiment, dès lors un permis de convenance a été oralement approuvé.» En résumé, la sécurité des logements étant garantie, les locataires ont le droit de loger dans le bâtiment grâce à un accord oral avec la Municipalité.
Pas de commentaire
Nous avons contacté Jacqueline Menth, membre de la coopérative DomaHabitare et à l’origine du projet. Nous voulions lui poser des questions et lui avons demandé de nous mettre en relation avec Daniel Béguin. Mais elle a refusé: «M. Béguin ne souhaite pas s’exprimer et moi non plus. Je dirai juste que les artisans ont été payés et que, désormais, il n’y a plus de factures ouvertes. Nous sommes dans une phase de recherche active de nouveaux locataires», déclare-t-elle laconiquement. Les premiers habitants devaient emménager en juin 2017, mais des retards les ont contraints à attendre quelques mois de plus. Cette année, la plupart ont quitté les lieux. Sur les dix logements, deux sont occupés, sept sont libres et un n’est pas complètement terminé.