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Des vaches au coeur d’une véritable bataille

7 avril 2016
Edition N°1717

Nord vaudois – La Fédération des sélectionneurs de bétail bovin fête, ce week-end, ses cinquante ans, à Orbe, à la Ferme Michaud. Retour sur la Guerre des vaches, à l’origine de cette structure, avec Etienne Candaux, syndic de Premier, qui a vécu ce conflit de l’intérieur.

La ferme de Premier, héberge quelque 200 Montbéliardes, une race rustique élevée pour sa viande et son lait. © Michel Duperrex

La ferme de Premier, héberge quelque 200 Montbéliardes, une race rustique élevée pour sa viande et son lait.

«Voilà l’expression d’une vraie Montbéliarde. Avec du caractère, de grandes oreilles et, le plus souvent, une tête entièrement blanche», lance Etienne Candaux, tandis qu’Aveline finit par accepter d’interrompre son repos dans l’écurie, pour la photo. Les qualités de cette race et celles de son homologue frisonne ont, précisément, incité, il y a une cinquantaine d’années, un groupe d’agriculteurs à les importer illégalement, dans un climat de vive tension.

L’engouement est né, dans le Nord vaudois, d’une escapade en Franche-Comté effectuée par un groupe d’agriculteurs de la région de Romainmôtier, au début des années 1960. Séduits par des animaux fruits d’une recherche génétique performante, les visiteurs ont souhaité avoir recours à des semences de taureaux élevés chez nos voisins. «Des erreurs de sélection ont fait stagner les races suisses, surtout au niveau de la production et de la qualité du lait», relève Etienne Candaux, pour justifier la démarche.

Les autorités cantonales, fédérales et les syndicats d’élevage refusant d’entrer en matière, des agriculteurs du cru ont décidé de prendre le taureau par les cornes. «Toute race étrangère était à bannir, prétendument par crainte des maladies, mais nous avions pris nos précautions en effectuant des analyses de sang sur les animaux », déclare l’habitant de Premier.

Ils forcent le passage

Ce sexagénaire avait treize ans lorsqu’est survenu ce qui restera comme l’événement marquant de la Guerre des vaches, le 12 mai 1967. Il s’en rappelle dans les moindres détails. «Mon père a contacté un journaliste de la Radio Suisse romande pour appeler à un rassemblement paysan à la frontière», explique-t-il. Environ 120 agriculteurs ont répondu à cette sollicitation, sans savoir de quoi il était question. Ils se sont rendus à pied à la douane du Creux, depuis Ballaigues. «Quand les douaniers nous ont vu arriver, ils ont eu la trouille et ils ont placé des barbelés en travers de la route», se souvient le Nord-Vaudois. Ce jour-là, une douzaine de vaches de la race montbéliarde ont rejoint le sol suisse, où un comité d’accueil des plus hostiles les attendait. «Les douaniers étaient armés et accompagnés de chiens. Quelques coups de feu ont même été tirés. La tension régnait, car il y avait déjà eu pas mal de contrebande. Des bêtes passaient la frontière partout, de Genève à Romanshorn», précise Etienne Candaux (lire ci-dessous).

Vaches abattues

N’en déplaise aux contradicteurs, les bovins ont été acheminés à la Ferme de la Maladaire, entre Ballaigues et Lignerolle. «Une trentaine de gendarmes et de douaniers sont arrivés sur le site vers 3h du matin. Ils ont chargé les vaches, qui ont été tuées aux abattoirs de Lausanne», indique celui qui est le fils du fer de lance de l’opération, Emile Candaux, dit «Milo», aujourd’hui décédé. Aux yeux de l’actuel syndic de Premier, l’action de mai 1967 a engendré une «prise de conscience des autorités», l’importation de semences ayant fini par être tolérée, bien qu’«avec beaucoup d’entraves».

La Fédération des sélectionneurs de bétail bovin (FSBB), dont le cinquantième anniversaire sera célébré ce week-end à Orbe, sur le site de la Ferme Michaud, est née du combat épique que nous évoquons ici. Créée pour mettre sur pied «une structure d’élevage avec des règles strictes», la FSBB a été présidée pendant quatre ans par Etienne Candaux. Il présentera deux de ses protégées dans le cadre du concours bovin regroupant 140 têtes de bétail -cent Montbéliardes, vingt vaches de la race Holstein et autant de la race Normande-, samedi, de 9h à 17h. Deux autres animaux de son cheptel participeront à la journée de dimanche, réservée aux membres de la fédération et à leurs familles.

Une balle dans la jambe

Lors d’une expédition de contrebande -elles étaient organisées principalement la nuit-, Emile Candaux et trois autres paysans ont été interceptés à la frontière, des veaux de la race frisonne sur les épaules. Alors qu’il tentait de prendre la fuite, «Milo» s’est fait tirer dessus par un douanier, puis incarcérer à la prison du Bois-Mermet, où des paysans sont venus manifester pour sa libération. Trois jours plus tard, l’agriculteur de Premier regagnait son domicile, enlevant lui-même au couteau la balle qui s’était logée dans sa jambe. «La contrebande a été utilisée en dernier recours par mon père. C’était, pour lui, un vrai cas de conscience, car il avait été sensibilisé au respect de la loi», précise Etienne Candaux.