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Elle sort les squelettes des placards

26 octobre 2018 | Edition N°2361

Sainte-Croix – Notre photographe, Carole Alkabes, sort un ouvrage dans lequel elle a immortalisé les martyrs oubliés de Suisse.

Dans l’église de Sankt Gallenkappel (SG), Saint Celestinus est confortablement allongé sur le côté, l’une des positions les plus souvent utilisées. Sa translation, depuis les catacombes Cyriacae, a eu lieu en 1796. © Carole Alkabes

Elle déborde de vie et pourtant, elle se dit fascinée par la mort. A tel point qu’elle a entassé des ossements dans sa maison de Sainte-Croix. «Si je vois une dent de vache dans un champ, il faut que je la ramène, c’est plus fort que moi», confie Carole Alkabes, dans un sourire. Ce paradoxe, on le retrouve dans son ouvrage intitulé Martyrs – Les reliques oubliées, qui paraîtra le 1er novembre prochain, jour de la Toussaint, aux Editions Favre.

Pour ce livre, la photographe, qui travaille notamment pour La Région Nord vaudois, a immortalisé des squelettes aux quatre coins de la Suisse. Au fil des pages, on découvre les restes de centaines de martyrs de l’Eglise catholique, que la Sainte-Crix a retrouvés dans plus de 250 abbayes, couvents et paroisses de tout le pays. Rien à voir, toutefois, avec de vieux ossements poussiéreux: recouvertes de bijoux, de perles et d’étoffes précieuses, les reliques donnent l’impression saisissante d’être incarnées.

Chasse au trésor

Ce projet, Carole Alkabes l’a conçu il y a environ quatre ans, au sortir d’une exposition collective sur les représentations allégoriques de la mort. «J’ai essayé d’imaginer mon squelette après mon décès et j’avais envie de faire quelque chose de fleuri et de doux», se rappelle-t-elle. La photographe s’était enfermée durant des jours, dans son studio, pour immortaliser des crânes humains et animaliers décorés de végétaux.

C’est alors qu’elle a alors découvert l’existence, à travers quelques rares écrits, des martyrs oubliés de la Suisse. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle se mette en quête de ces ossements. «J’ai entamé une chasse au trésor qui a duré trois ans», explique-t-elle. Au fil de ses pérégrinations, elle a obtenu qu’on lui ouvre les autels et les reliquaires: «Dans certaines paroisses, les curés ignoraient ce qu’elles renfermaient», se souvient-elle.

Surtout, elle a appris à reconnaître les symboles des martyrs – la palme et l’épée – sachant exactement quelles portes pousser: «Je ne savais pas si les gens seraient mal à l’aise ou contents qu’on parle des trésors qui gisent dans nos églises. J’ai rencontré majoritairement des personnes enthousiastes.»

Au final, Carole Alkabes livre un ouvrage richement illustré de plus de 200 pages, dans lequel elle n’a pas hésité à échanger son appareil photo contre un stylo, afin d’évoquer son rapport à la mort. «De nos jours, c’est devenu un sujet tabou. J’essaie de faire en sorte que les gens oublient leurs a priori et qu’ils recommencent à en parler afin de se réapproprier cette facette-là de l’existence.» Et rien de mieux, selon elle, que de poser ses yeux sur un squelette: «C’est la seule chose qui restera de nous, je ne comprends pas pourquoi les gens sont effrayés. C’est la projection de notre propre mort qui le rend macabre.»  

Carole Alkabes sera l’une des oratrices des Conférences du château, le 15 novembre à 20h à Yverdon-les-Bains, sur le thème «Beauté funéraire en Suisse».

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Une histoire méconnue

Entre le XVIe et le XIXe siècle, la Suisse, comme l’Autriche et l’Allemagne, a vu affluer des milliers de squelettes envoyés depuis Rome par l’Eglise catholique. Il s’agissait des restes des corps découverts dans des catacombes, aux alentours de la cité du Vatican, et considérés par les autorités religieuses comme étant ceux des premiers martyrs chrétiens ayant payé de leur vie leur appartenance à la religion chrétienne. Durant 250 ans, des reliques ont ainsi été disséminées dans tout le pays, chaque paroisse célébrant leur arrivée par de gigantesques cérémonies très codifiées. Beaucoup dorment encore dans plusieurs lieux saints, bien souvent à l’insu de tous. «Mon but, c’était d’exposer ce pan totalement méconnu de l’histoire de la Suisse», confie Carole Alkabes.

 

Caroline Gebhard