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Il laisse les röstis pour la galerie

27 mai 2013

Après avoir officié 40 ans durant au café-restaurant «Au Bon Vin», à Onnens, Michel Kunz rend son tablier.

Michel Kunz pose dans son fief qui deviendra un appartement.

A 76 ans, le tenancier d’une des adresses les plus connues de la région veut quitter ses fourneaux pour se consacrer uniquement à la Galerie du Vieux Pressoir, qu’il souhaite agrandir et réorganiser.

«Je vous avertis tout de suite, j’ai une heure à vous consacrer», lance Michel Kunz derrière la machine à café. D’emblée, le décor est posé. L’homme a du caractère et une ligne de conduite: deux ingrédients qui expliquent selon lui le succès de son établissement à l’univers si particulier.

La recette gagnante

Sans surprise, les clients qui ne manqueront pas de garnir bientôt sa petite salle boisée ornée de vieux tableaux vont se voir proposer des röstis avec, à choix, saucisse à rôtir, souris d’agneau ou une poignée d’autres mets traditionnels. Michel Kunz explique que cette recette gagnante scrupuleusement respectée, à quelques variations près, depuis son arrivée à Onnens, a été mûrement réfléchie. «Ma carte est composée de plats préparés à l’avance, que je peux laisser mijoter dans la cuisine afin de m’occuper de mes clients», indique-t-il, en admettant avoir hésité, au commencement, entre le gratin dauphinois et les röstis.

L’animation est un autre aspect qu’il ne néglige pas. Il l’assure à travers son piano pneumatique ou en passant des disques sur son gramophone, sans oublier d’adapter la musique aux convives, dont la provenance n’est pas strictement nord-vaudoise, loin s’en faut. «Je reçois des gens de Lausanne, de Neuchâtel, voire de Berne, Bâle et Genève en été. Des hommes d’affaires viennent manger avec leurs clients et des jeunes viennent régulièrement du Valais», affirme Michel Kunz. Après tant de temps à la tête de ce restaurant, le truculent personnage n’a pas manqué de nouer des amitiés. Il évoque avec amusement le fait que certains de ses hôtes de deuxième génération viennent désormais avec leurs enfants. Et balaie d’une anecdote la tentation d’associer cette continuité à de la monotonie: «La semaine passée, des clients sont venus en hélicoptère de Bienne. C’est quand même incroyable d’avoir payé si cher pour venir bouffer une saucisse!»

Une jeunesse mouvementée

Contrairement à l’impression sans doute laissée jusqu’ici, l’existence de Michel Kunz, notamment dans ses jeunes années, n’a rien du crépitement régulier et apaisant d’une poêlée de röstis cuits à feu doux. «J’ai eu la chance d’effectuer ma formation à l’Ecole hôtelière de Lausanne et de beaucoup voyager», reconnaît-il.

En 1954, son premier travail à l’Hôtel d’Angleterre, à Genève, est un rendez-vous avec l’histoire: «Nous hébergions la délégation nord-viêtnamienne venue signer l’accord de paix avec le Viet Nam», se rappelle-t-il. De Jean Cocteau à la famille royale d’Angleterre, le futur retraité de la restauration a côtoyé un nombre considérable de personnalités durant ses passages dans des établissements de haut rang aux quatre coins du globe.

Pas le temps de s’ennuyer

Responsable de son choix de carrière, son grand-père a également été l’élément déclencheur d’une aventure de bande dessinée. «Je lui ai écrit une lettre de Londres à l’époque où je travaillais au Clardige’s pour lui dire que tout se passait bien. Il m’a répondu de façon incendiaire que je devais bouger, faire quelque chose au lieu de me complaire dans ma situation», déclare Michel Kunz. L’impact des propos est immédiat. Le petit-fils part pour les Etats-Unis et trouve de l’embauche à New York, puis San Francisco. Alors qu’il voyage dans le pays avec un compatriote, l’armée américaine les approche dans le but de les recruter pour Cuba. Les deux compères fuient à bord d’un cargo norvégien qui se rend au Japon. «En tant que deuxième cuisinier, je devais préparer le pain et, deux fois par semaine, le dessert pour 40 matelots. Nous avons essuyé trois semaines de tempête», se souvient Michel Kunz.

Après une escale nippone de trois mois, le tandem rejoint Marseille, puis la Suisse en passant par Hong Kong, Singapour, Ceylan (l’actuel Sri Lanka), Bombay, Djibouti et l’Egypte, sans oublier de visiter les pyramides. Plusieurs établissements suisses de renom jalonnent encore le parcours de Michel jusqu’à son «retour aux sources» à Onnens, le lieu de domicile de sa soeur et de son beau-frère. Vous avez jusqu’au 30 juin pour lui demander d’en parler au «Au Bon Vin», et si le délai est trop court, il vous restera la Galerie du Vieux Pressoir.

 

Ludovic Pillonel