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Ils n’écoutent  que leur instinct
©Champi

Ils n’écoutent que leur instinct

9 octobre 2020

Archer et facteur d’arcs traditionnels à La Sarraz, Olivier Grieb forme ses élèves au tir à l’arc instinctif. Pratiquée en pleine nature, cette discipline requiert patience, humilité et don de soi.

 

La cheminée d’une fabrique émerge enfin de la brume et de la pluie qui s’est abattue en ce début de matinée sur l’ancien site industriel rebaptisé La Filature à La Sarraz. La forêt voisine semble renaître de l’accalmie, accueillant ses visiteurs avec des odeurs de bois, de feuilles et de terre mouillés. C’est là qu’Olivier Grieb a donné rendez-vous à quatre apprentis archers pour un cours d’un type très particulier.

En effet, la leçon de tir d’aujourd’hui se déroule en plein air, sans cible prédéterminées. Cette pratique, nommée billebaude, propose de se promener dans la nature avec son arc et de tirer sur des marqueurs naturels, tels qu’une branche morte, une touffe d’herbe ou une ombre, sans jamais leur porter atteinte. Equipés de longbows (arcs droits traditionnels en bois sans viseur), de flèches avec embouts en caoutchouc et de carquois, le petit groupe s’enfonce dans les bois pour deux heures de marche.

Malgré son qualificatif «d’instinctif», le tir enseigné ici nécessite une grande concentration, une gestuelle précise et beaucoup de travail. Les quatre participants du cours en sont déjà à leurs troisième leçon mais leurs gestes sont sans cesse scrutés et corrigés par leur professeur: «Il faut bien regarder la cible, élever l’arc, pousser, tirer jusqu’au coin des lèvres et quand on arrive à l’ancrage, on bloque. Il n’y a que les épaules et les bras qui bougent, tout le reste du corps est ancré, immobile. Et puis, il faut prendre conscience de sa respiration. Au moment où je libère la flèche, mon dernier souffle part». La respiration est l’élément-clé dans le tir à l’arc traditionnel puisqu’elle va rythmer toute l’action et permettre à la flèche d’atteindre son objectif.

«Bien sûr, on va tout faire pour atteindre la cible, mais ce n’est pas ce qui importe le plus ici. C’est le chemin parcouru pour y arriver qui compte. On n’est pas là pour renflouer son ego mais pour apprendre en toute humilité», philosophe l’archer.

Souvent méconnu, le tir à l’arc instinctif est victime de nombreux préjugés. Selon le facteur d’arcs, les fédérations officielles de tir voient d’un mauvais œil cette activité: «Je suis considéré comme un extra-terrestre! Ce que je fais est trop hors-norme, ça offre trop de liberté aux gens. Il n’y a jamais d’accidents avec la billebaude mais ceux qui braconnent avec des arcs ont aussi porté atteinte à notre discipline. Pourtant, nous ne touchons même pas les arbres puisqu’ils sont nos gardes. Ils nous aident à guider la flèche ».

Aline Castella a fait la route depuis Sommentier dans le canton de Fribourg et elle est conquise: « C’est très complet comme sport, dans l’attitude à avoir, la posture, la respiration et le challenge d’arriver à l’objectif. C’est la beauté du geste qui me séduit». Se déconnecter de ses tracas quotidiens et vivre à fond l’instant présent, c’est ce qu’expérimente Ben Kramer qui lui s’est déplacé depuis la Chaux-de-Fonds: «J’aime ce rapport à la nature, de pouvoir couper le mental, de se recentrer sur soi-même ».

Lorsque les archers décochent, le silence se fait, entrecoupé seulement du sifflements des flèches et du bruissement de la nature. Pour Olivier Grieb, «c’est un moment qui va être longuement intériorisé, on est comme en transe».

Guillaume Gachet et Nadia Toffel, de Romont (Fribourg) sont tout aussi enthousiastes: «Après cette matinée, on est relaxés, détendus, c’est presque de la méditation. On ne pense qu’au moment présent».

 

Le secret d’Olivier Grieb: sélectionner les meilleurs bois

 

Ils ne sont que trois facteurs d’arcs en Suisse romande. Formé en France, auprès d’un archer mythique du nom de Jean-Marie Coche, Olivier Grieb manie et fabrique des arcs avec passion depuis plus de vingt ans. De type semi-longbow droit, arc de chasse et longbows hybrides, ils sont réalisés grâce à la technique du lamellé-collé. Dans son atelier «Grandarc», situé à la Filature à La Sarraz, sommeillent des bois locaux, précieux ou exotiques. Le secret du facteur c’est leur sélection minutieuse: «Certains proviennent des gorges de l’Areuse, de Villeneuve, de parcs lausannois ou encore d’un château abandonné en France. J’essaie d’en importer le moins possible mais j’en ramène aussi de mes voyages. Chaque bois a sa propre histoire. Leur dynamique, leur veinage, leur couleur les rend unique. Quand je les travaille, ils dégagent des odeurs, comme l’olivier qui sent bon l’apéritif!».

Si l’if est le bois par excellence, l’ébène du Gabon, le buis, le noyer du Périgord, le cytise, l’amourette ou encore le bambou, pour n’en citer que quelques-uns, attendent patiemment leur tour.

Natasha Hathaway