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«J’ai toujours eu l’envie de combattre»
La tension monte, dimanche dernier. Brenda Tuosto, toujours plus proche de décrocher un siège à Berne, reçoit le soutien de sa camarade socialiste Sarah Morier. © Michel Duperrex

«J’ai toujours eu l’envie de combattre»

26 octobre 2023

Elections fédérales - Brenda Tuosto a réussi son pari. Peu présente à l’échelle cantonale au sein du Parti socialiste, mais très engagée dans son rôle de municipale, l’Yverdonnoise a su convaincre les Vaudois de l’envoyer à Berne. Une élection qui doit tout à la fois au hasard, au travail et à des cousins en Sardaigne.

Cela fait trois jours que vous avez été élue au Conseil national. Réalisez-vous?

Je commence, oui. Surtout parce que les sollicitations sont nombreuses! De la part des médias, déjà, mais surtout du côté du Parlement. Beaucoup de rendez-vous arrivent pour préparer la rentrée, l’assermentation aura lieu le 4 décembre, donc tout s’enchaîne assez rapidement. Mais c’est vrai qu’il y avait tellement d’émotion sur le moment, et c’était tellement serré, que j’ai eu de la peine à me rendre compte tout de suite que j’avais été élue.

 

C’est un grand changement dans votre vie, non?

Ma vie était déjà très chargée de par mon mandat de municipale. Je m’y investis à 200% et j’en ai fait ma priorité. Ce qui va changer, c’est que je ne serai plus autant présente physiquement à Yverdon. Il va falloir mettre en place toute une organisation pour que ces deux activités puissent coexister.

 

Allez-vous pouvoir garder votre mandat?

Le mandat de municipal est un 60%. La Municipalité décide ensuite de l’organisation des dicastères. Ce travail au sein de l’exécutif me permet de garder les pieds sur terre et d’agir au niveau opérationnel. À l’heure actuelle, je garde ce mandat. On en avait discuté avec le PSV avant la campagne. Tous mes collègues m’ont d’ailleurs félicitée après mon élection. Cela dit, la réorganisation au niveau de ma charge de travail devra se poser. Aujourd’hui je m’investis beaucoup, c’était mon choix. On doit maintenant réfléchir comment s’organiser pour que j’obtienne plus d’appuis et que la Ville soit représentée au sein de différents conseils d’administration, une tâche qui prend beaucoup de temps. Les discussions sont en cours.

 

Le cumul de mandat n’est-il pas un problème?

Nous devrons analyser la situation avec le Parti socialiste vaudois.  Il y aura une discussion et nous prendrons ensuite une décision.

 

On a beaucoup parlé de votre parcours éclair. Vous n’avez pas connu l’échelon politique cantonal et vous voilà à Berne. Appréhendez-vous cette première session?

Si j’avais une peur, ça serait celle de ne pas être à la hauteur, évidemment. Cela me tient à cœur d’honorer le mandat qui m’a été confié par la population. Mais si je me suis présentée, c’est que je me sens prête et compétente. Et dans tous les cas, le fait de ne pas être passée par l’échelon cantonal ne m’effraie pas. De nombreux autres exemples montrent que tout le monde ne suit pas le parcours «traditionnel» du parlementaire. On a tous un destin.

 

Pourquoi vous êtes-vous présentée à ces élections fédérales, et pas aux cantonales?

Ce qui me plaît, premièrement, c’est l’aspect multiculturel, notamment avec les trois langues qui sont parlées à Berne et le fait de servir l’ensemble de la population habitant en Suisse.

 

Entre un Lausannois, un Veveysan ou un Nord-Vaudois, il peut déjà y avoir des mélanges intéressants…

(Elle sourit) C’est vrai, il y a déjà du multiculturalisme! Mais je côtoie déjà ces différentes régions de par ma fonction de municipale d’Yverdon. Pour en revenir au national, ce qui m’intéresse c’est aussi de voir les différences qui sont menées entre les différentes régions linguistiques, par exemple. Les dossiers sont encore plus complexes, mais du coup aussi plus intéressants pour moi. Au Parlement, nous sommes au cœur des possibilités de changements majeurs pour le pays, au cœur de l’action. Ça prendra du temps, notamment pour maîtriser les rouages du Conseil national, ça sera peut-être frustrant par moment mais je me réjouis de débuter.

 

Comment décririez-vous cette campagne?

Longue, intense et très stimulante! J’ai adoré faire cette campagne, parce que j’ai pu me rendre aux quatre coins du canton. Et j’ai rencontré de très belles personnes.  J’ai beaucoup appris, autant sur le plan personnel que professionnel.

 

Sincèrement, quand vous vous êtes lancée, quel score pensiez-vous obtenir?

Je me suis lancée pour représenter la région, pour visibiliser le Nord vaudois. C’était mon premier but.

 

Donc pas d’être élue?

Je pensais que j’arriverais en milieu de classement. Vu la qualité des candidats, c’est là que je me situais. Ça a changé lors du congrès du Parti socialiste vaudois, en janvier. Au moment de voter l’ordre de la liste, les membres m’ont positionnée comme première vient-ensuite. Ma posture a dû évoluer. Je me devais de faire honneur à ce positionnement et de m’investir à fond dans cette campagne. Et je me sentais légitime.

 

Ce n’est que dimanche dernier que vous vous êtes dit: «ça peut le faire»?

À la fin de l’été, avec l’intensification de la campagne, j’ai commencé à réaliser que j’avais une chance. Je dois dire que tout s’est bien passé pour ma campagne. Parce qu’au final, il faut bien le dire, ça ne se joue à rien. Benoît Gaillard (ndlr: arrivé juste derrière Brenda Tuosto, à 315 voix) mérite aussi ce siège.

 

Un des moments clés de la campagne, c’est sans doute l’annonce des CFF concernant la coupure de la ligne du Pied du Jura. Vous avez été très active sur ce dossier, très présente médiatiquement aussi. Paradoxalement, ce sont peut-être les CFF qui vous ont offert ces 315 voix supplémentaires…

Déjà, je tiens à dire que j’ai agi sans penser à la campagne. Ma réaction – c’est à dire défendre notre région – aurait été la même, quel que soit le contexte. Et ensuite, je ne vois pas ces chiffres ainsi. Pour moi, c’est surtout le soutien fort d’Yverdon qui m’a permis d’être élue.

 

Evidemment, vous avez obtenu le soutien d’Yverdon, votre ville. Tout comme les autres candidats ont reçu le soutien de leur ville ailleurs. Passer au téléjournal, cela a forcément eu un impact sur votre candidature.

Oui, c’est probable. La médiatisation joue un rôle. Mais c’est pareil pour tous les candidats.

 

Quelle conseillère nationale serez-vous?

J’ai toujours fonctionné en essayant de construire des coalitions avec tous les partis. Être en minorité ne me fait pas peur. On peut arriver avec sa ligne, mais c’est évident qu’on doit discuter pour arriver à un compromis. Je suis une femme, jeune, «welche»: je sais que je vais devoir faire ma place, tout comme d’autres d’ailleurs.

 

Vous êtes aussi une fille d’immigrés italiens. Comment ont réagi vos parents?

Ils étaient très stressés dimanche! Ils m’ont accompagnée à Lausanne et étaient émus forcément. Mon père était concierge, ma mère aide-soignante, ils ne s’attendaient certainement pas à avoir une fille conseillère nationale, même s’ils m’ont toujours dit de croire en moi. Quand on a eu le résultat, on a pleuré tous ensemble! Au moment où j’ai été élue, j’ai tout de suite pensé à ma famille en Sardaigne.

 

Pourquoi?

Parce qu’ils me rappellent pourquoi je me suis engagée. J’ai la chance, contrairement à mes cousins, de vivre en Suisse, où n’importe qui peut se présenter à une élection et avoir des chances d’être élu, grâce à la démocratie directe et au Parti socialiste. Et on peut influencer la politique communale, cantonale ou nationale. C’est pour ça que je m’engage comme une acharnée. La situation est différente en Italie. Mais même en Suisse, passer de fille de concierge à conseillère nationale, ça ne s’est pas fait tout seul. J’ai dû travailler dur, je suis passée par des moments que certaines personnes issues de milieux plus aisés ne peuvent pas comprendre. Le parcours conventionnel, ce n’était pas pour moi.

 

C’est-à-dire?

À l’école, il y a déjà une énorme différence entre écoliers issus de familles riches ou pauvres. Alors en étant la fille du concierge, j’ai été moquée par des élèves. Mais si j’en suis là, c’est aussi grâce à ce job qu’a eu mon père, car mes parents ont pu être présents pour moi, et m’aider avec mes devoirs. Ça m’a portée. Le cadre familial fait énormément. Aujourd’hui, j’ai une bonne situation. Mais j’ai toujours eu l’envie de combattre pour celles et ceux qui n’ont pas la chance de le faire.

Massimo Greco