Logo
«J’aime être libre avec mes animaux»
Steve Jaunin et ses 210 moutons.© Zsolt SARKOZI

«J’aime être libre avec mes animaux»

26 décembre 2020

Rencontre avec Steve Jaunin, berger à la philosophie de vie méritant d’être découverte.

Il n’y a pas d’espace entre les moutons, ils se déplacent si serrés qu’on ne pourrait glisser un journal entre eux. Ils ont un gros corps et des pattes toutes fines, un regard doux, attentif et patient. Les moutons de Steve Jaunin sont apprivoisés et viennent lécher la main qui traîne, mais mieux vaut être légèrement en dehors du troupeau, car au milieu d’eux, l’équilibre est mis à l’épreuve! Le berger domicilié à Fontaines-sur-Grandson a pris quelques minutes pour répondre à La Région.

Quel est le nom de vos chiens et leur spécificité ?

Lumos (lumière) est un chien puissant. C’est le chien de pied, il intervient seulement si nécessaire. Gayak (vieil arbre) est plus doux. Je peux le laisser avec le troupeau, il aboie beaucoup, mais a moins d’impact sur les moutons. River (rivière) a trois mois, il apprend par mimétisme. Je forme tous mes chiens.

Votre troupeau compte combien de moutons?

Cela varie entre 90 et 240 bêtes.

Avez-vous des ânes?

J’en ai quatre… et je suis le cinquième (rires)! Il y a Larzac, qui fait référence au lieu où j’ai étudié, Pagnol (ou Marcel pour les intimes), Sancho… et le quatrième change de nom suivant mon humeur.

Et les moutons, ont-ils aussi des noms ?

Oh non! Cela leur porte la poisse! Tous ceux à qui j’avais donné un nom ont dû finir à la boucherie. Par contre, je les connais tous…

Comment concilier vie de berger et vie de famille ?

Ce n’est pas facile, car avec des troupeaux de moutons, il y a toujours des imprévus. Au premier abord, c’est le plus beau métier du monde, mais quand il commence à y avoir des soucis, alors plus personne n’est là.

Faites-vous beaucoup de transhumance ?

Je fais des déplacements de moutons, ce n’est pas la même chose. La transhumance, c’est quand tu dors avec tes animaux, ce que je fais rarement. Par contre, je les déplace tous les jours pour faire travailler mes chiens.

A quoi pensez-vous lors de vos déplacements ?

Je n’ai pas le temps de rêver, tous mes sens sont exacerbés. Il faut sentir, regarder loin, écouter si un véhicule arrive, bref: anticiper. Je suis dans une phase hors de la réalité et hors du temps. Mon cerveau fonce, mais je peux être très paisible si mes moutons mangent. Je fais un avec mon troupeau.

Quelle est la durée et la longueur des déplacements ?

Tout dépend si on est en montée ou en descente, de la température et de la saison. Je fais régulièrement 15 km, mais c’est plus une notion de temps que de kilomètres. Si on se déplace dans le but de pâturer, on fait du 1 km/h. Par contre, si on est sur la route, on fait facilement du 6 à 7 km/h. À côté d’une culture, il ne faut pas traîner et ne pas laisser le mouton réfléchir.

Comment se passe la cohabitation avec les automobilistes et les agriculteurs ?

En général, assez bien. Le jour où on m’interdit d’aller sur la route avec mes moutons, j’arrête. Mon chien s’est déjà fait shooter plusieurs fois. Par contre, mes moutons sont éduqués, ils savent ce qu’est une voiture ou un champ de cultures. Quant à moi, je respecte les agriculteurs et leurs plantations. Mon chien est mon miroir, on est chacun d’un côté du troupeau.

Quelles sont les réactions des gens que vous croisez ?

Leur premier réflexe est issu de la maladie actuelle: ils font des photos avec leur téléphone! Le 90% des gens sont émerveillés, s’arrêtent ou sortent de leur voiture. C’est souvent bien perçu.

Le mouton est-il intelligent ?

Oui, le mouton vit depuis des générations de manière grégaire dans la nature. Les moutons aiment vivre en groupe, seuls ils ne sont pas bien. La hiérarchie est fort bien établie.

Comment composez-vous votre troupeau ?

J’ai principalement des Skudde et des Ouessant, mais aussi quelques moutons de cœur, des croisés, un qui a un œil bleu, ou d’autres qui ont une histoire. Je ne mélange pas les béliers, j’en ai 18, et les femelles. Je fais de la sélection et je ne veux pas des petits tout le temps. Mieux vaut avoir les naissances au printemps! Je façonne mon troupeau comme le faisaient les anciens et, pour cela, il faut prendre le temps, ce que ne fait plus l’être humain.

Tondez-vous vos moutons ?

J’ai des spécialistes qui viennent deux fois par année, et, pendant ce temps, je taille les onglons. Je laisse toujours un peu de laine pour les nids des oiseaux et sinon, je la donne à des associations.

Gagnez-vous votre vie avec les moutons ?

Je ne gagne rien avec eux, j’arrive juste être à zéro. Personne ne veut faire ce métier, car c’est beau deux jours, mais sur la durée c’est un métier pénible.

Comment nourrissez-vous le troupeau ?

Le mouton sait à quelle période il peut manger des plantes toxiques, il cherche des glands dans les chênaies et en hiver, je le mène dans les vignes. En janvier, il s’attaque au lierre et quand les vaches quittent les pâturages, je les remplace. Je fais de l’entretien naturel des forêts. Je n’achète jamais de grain.

Que signifie un troupeau de moutons à Noël ?

Avoir des moutons, c’est avoir un peu l’esprit de Noël toute l’année. Je ressens les marquages de l’être humain, toutes religions confondues. Un bûcheron sentira Noël chaque fois qu’il se trouve près d’un sapin. Cela me fait le même effet. Je ressens cette sensation suite aux échanges avec les gens. Noël ou pas, ça ne change pas. Je suis un faiseur de rêves.

Quel est votre contact avec vos animaux ?

J’aime la communication animale. Que ce soit avec les chiens ou les moutons, je sais les lire. J’ai une connexion avec eux. Je n’ai pas besoin d’attendre la nuit de Noël pour les entendre parler. Je les observe et ce sont eux qui donnent les clés pour les comprendre: leurs oreilles, les odeurs, ma perception… Les enfants savent encore lire les animaux, c’est pourquoi ils ont peur, ils savent que des moutons dirigés par un chien vont aller tout droit sans faire attention. Savoir lire les animaux nous fait retourner à la source, nous connecter à la nature et c’est cela qui nous sauvera. C’est ça le pastoralisme, un équilibre entre le berger, les chiens, les moutons et l’environnement qui bouge.

Votre mot de la fin?

J’aime être libre avec mes animaux. J’ai une vie formidable, mais je me la suis construite.

Véronique Meusy