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«Je suis un syndicaliste de résultats, pas politique»
Yves Defferrard. © Michel Duperrex

«Je suis un syndicaliste de résultats, pas politique»

18 décembre 2020

Le responsable d’Unia Vaud Yves Defferrard s’apprête à passer le témoin à un autre Urbigène, Arnaud Bouverat, mais il garde sa fibre de défenseur des droits des travailleurs. Portrait d’un homme qui a passé une vingtaine d’années sur le terrain.

«Je pratique un syndicalisme de résultats qui aboutit au fameux compromis helvétique!» à 54 ans, et à l’heure de transmettre le témoin à Arnaud Bouverat (lire ci-dessous), le responsable d’Unia Vaud Yves Defferrard transpire la quiétude. Tout simplement parce que cet inconditionnel défenseur des droits des travailleurs a le sentiment qu’il pratique le plus beau métier du monde.

S’il passe la main, c’est parce qu’il a le sentiment du devoir accompli à ce poste. Il veut désormais être plus présent sur le terrain et se consacrer, notamment, à la formation des militants.

Né à Lausanne, cet Urbigène d’adoption, a passé sa jeunesse à Froideville, dans une famille modeste: «Ma mère était paysanne et mon père était cheminot. C’est lui qui me parlait du syndicat.» Au terme la scolarité obligatoire, achevée en primaire supérieure – «je n’étais pas un très bon élève», ajoute-t-il avec le sourire –, il a entrepris un apprentissage d’électricien. «J’ai eu de la chance. C’était une petite entreprise de Froideville et mon patron était extraordinaire.» Une appréciation qui prend tout son sens dans la bouche d’un syndicaliste fait au feu.

Son CFC en poche, Yves Defferrard s’est offert de belles années, alternant grands voyages et périodes de travail. «J’adore voyager. Je suis allé en Asie, en Amérique du Sud, aux USA. J’ai eu l’occasion d’aller six mois en Chine au moment où ils se sont mis à accorder des visas de longue durée», explique-t-il. Ce rythme lui convenait bien. Il voyageait durant la première partie de l’année et revenait en juillet pour travailler, après une mise en train au Paléo Festival.
La crise économique du début des années 1990 l’a contraint à changer de rythme. Il a alors passé un brevet fédéral en informatique et un autre en gestion de production industrielle (agent de méthodes), formations qu’il a pratiquées durant dix ans chez Cerbérus, société spécialisée dans la sécurité, vendue à d’autres acteurs économiques.

C’est à cette période qu’Yves Defferrard a eu les premiers contacts avec la Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l’horlogerie (FTMH), syndicat de la branche. Le secrétaire syndical Francis Saudan lui a mis le pied à l’étrier. Il y a tout juste vingt-et-un ans, il a entamé une carrière syndicale remarquable.

Et si, du point de vue du salaire Yves Defferrard a consenti un sacrifice – il était auparavant très bien rémunéré dans le privé –, il ne l’a jamais regretté: «Je me suis rendu compte au fil des interventions que j’aime défendre les intérêts des autres, plutôt que d’aligner des zéros sur un ordinateur. J’ai une chance incroyable, je vis une passion. Je n’ai pas l’impression de travailler.»

Du bas de l’échelle, durant son passage à la section FTMH de Vevey, à la tête d’Unia Vaud, l’Urbigène a vécu une évolution spectaculaire du monde du travail et des rapports entre employeurs et salariés.

Yves Defferrard a gravi les échelons l’un après l’autre. Il rêvait de devenir secrétaire syndical, une activité tout simplement passionnante: «On a la possibilité de traiter les litiges et de négocier. Je suis un syndicaliste de résultats, pas politique.»

Durant ce parcours, ponctué par la naissance d’Unia – fusion de la FTMH et du Syndicat de l’industrie et du bâtiment (SIB) –, l’Urbigène a assumé la responsabilité du secteur industrie pour les cantons de Vaud et de Fribourg, et celle de la section de la Côte. Il a aussi collaboré avec Pierre-Yves Maillard, avant qu’il n’entre au Conseil d’état vaudois.

Au moment d’ouvrir un nouveau chapitre de sa carrière de syndicaliste, Yves Defferrard ne ressent pas de nostalgie. Tout juste regrette-t-il le durcissement des rapports: «Dans le passé, on avait affaire à des patrons corrects. On n’était pas d’accord, mais on négociait, puis on se tapait dans la main. Ils avaient une sensibilité locale et les rapports étaient empreints de loyauté. Avec les grands groupes, c’est plus difficile d’établir un vrai partenariat social. On a affaire à des managers qui sont là pour deux ou trois ans et qui n’ont aucune sensibilité envers les salariés. Ces différences me navrent. Les rachats d’entreprises ont non seulement des conséquences sur les salariés, mais aussi sur l’économie locale. »

Sous ses airs tranquilles, ce père de deux grandes filles bout sous le feu de la passion, mais ses longues promenades sur le chemin des Présidents, à Orbe, contribuent à son équilibre.
Au terme de l’entretien, ce syndicaliste de résultats, bien trop modeste, ne s’est octroyé aucun mérite. On le fera pour lui. Sans l’engagement de ce redoutable négociateur, le site Novartis de Nyon-Prangins, et des centaines de postes de travail, auraient été définitivement rayés de la carte en 2011.

 

Il voit déjà plus loin

Dans l’esprit d’Yves Defferrard, son passage de témoin à Arnaud Bouverat, qui s’effectuera progressivement durant la première partie de l’année prochaine, était planifié: «J’ai pris la décision de ne pas me représenter pour une nouvelle période de cinq ans. Je vais prendre la responsabilité de la coordination romande et devenir coach pour les litiges collectifs, car il ne faut pas perdre le savoir-faire.»

Mais il compte présenter sa candidature au niveau national l’an prochain. Il voudrait s’occuper du secteur de l’industrie. Conscient que l’allemand est indispensable, il suit déjà des cours et prépare un séjour de trois mois en Allemagne, au sein d’IG Metall, l’un des plus grands syndicats européens.

 

Un parcours sans faute entre politique et action syndicale

Enfant d’Orbe, le député Arnaud Bouverat (en photo) a été le secrétaire général du PS vaudois avant de s’engager à la centrale d’Unia à Berne.

La transition à la tête d’Unia Vaud s’effectuera en douceur ces prochains mois. Appelé à la prendre la tête de la section cantonale, Arnaud Bouverat dispose de multiples atouts. Non seulement parce qu’il vient de passer près de huit ans à la centrale du syndicat à Berne, en assumant le suivi des conventions collectives de travail (CCT) dans le secteur de la sécurité, ainsi que celle du groupe Coop, mais aussi en raison de son activité politique.

Assistant parlementaire de Pierre-Yves Maillard, lors de son premier mandat au Conseil national, l’Urbigène – il est né à Orbe et y a vécu durant trente ans – a ensuite assumé durant huit ans la fonction de secrétaire général du Parti socialiste vaudois. Aujourd’hui député au Grand Conseil vaudois de l’arrondissement de Lausanne Ville, il revient, professionnellement parlant, dans un canton dont il connaît aussi bien les structures économiques que politiques.

Le Nord-Vaudois a un parcours sensiblement différent de celui de son prédécesseur. Après avoir accompli sa scolarité obligatoire à Orbe, Arnaud Bouverat a suivi les cours du gymnase à Yverdon-les-Bains. Puis il a étudié les lettres et les sciences sociales à l’Université de Lausanne.

Arnaud Bouverat s’attend à des mois difficiles: «Beaucoup d’entreprises sont touchées par la pandémie et on s’attend à beaucoup de sollicitations l’an prochain. Certains utilisent le prétexte du Covid pour essayer de faire passer des restructurations à la hussarde. Notre rôle est de défendre les salariés.»

Entre la controverse des heures d’ouverture des magasins et la nécessité d’établir une CTT, dans le canton de Vaud, le travail ne manquera pas: étendre le bon partenariat social existant dans plusieurs entreprises du groupe Nestlé à Nespresso, mais aussi celui existant avec la Coop à Hilcona (Orbe). Le renouvellement conventionnel dans le gros-œuvre figure aussi au programme, comme la revalorisation des conditions de travail du personnel de vente par une CCT.

Si le jeune quadragénaire partage une conviction avec Yves Defferrard, c’est bien la nécessité de négocier avec les partenaires économiques, «pour trouver une solution équilibrée». Pour lui, une bonne négociation prend du temps: «Le monde économique veut agir vite et obtenir des avantages concurrentiels vite. Or il faut parfois prendre son temps. Le partenariat est essentiel. Il faut entamer le dialogue et trouver des solutions.» Arnaud Bouverat cite en exemple la Convention horlogère et les bonnes relations qu’entretient le syndicat avec la Fédération vaudoise des entrepreneurs et le Centre patronal, «des partenaires fiables».

Et si son style, à l’instar de son parcours, est différent de celui de son prédécesseur, il pense qu’il ne faut pas opposer un syndicalisme de résultats à un syndicalisme politique. L’efficacité est le produit d’un subtil mélange des deux. Et, selon lui, si parfois il faut durcir l’action – le conflit chez Leclanché Capacitors l’a démontré –, c’est parce que parfois il n’y a pas d’autre issue pour débloquer une situation.

Isidore Raposo