Logo

«J’espère pouvoir vivre une Eglise plus ouverte»

12 octobre 2017 | Edition N°2100

Romainmôtier – A 44 ans, Nicolas Charrière est, depuis peu, le pasteur de la paroisse de Vaulion – Romainmôtier. L’Abbatiale nord-vaudoise a souvent accueilli des personnalités marquantes à ce poste et le nouveau venu ne fait pas exception à la règle. Rencontre.

Arrivé à Romainmôtier au 1er août de cette année, le pasteur Nicolas Charrière a été installé le 1er octobre dernier. ©Pierre Blanchard

Arrivé à Romainmôtier au 1er août de cette année, le pasteur Nicolas Charrière a été installé le 1er octobre dernier.

Nicolas Charrière, comment avez-vous atterri à Romainmôtier ?

J’ai d’abord travaillé une dizaine d’années à Payerne, déjà en un lieu où se trouve une abbatiale. Et puis j’ai travaillé six ans et demi en prison, à La Croisée à Orbe, ensuite à Lonay à La Tuillère. Un jour, mon responsable RH de l’Eglise m’appelle et me dit qu’ il y a un poste à Vaulion-Romainmôtier et qu’on a pensé que ce serait bien que ce soit moi. J’ai d’abord refusé. Ça venait un poil trop tôt dans mon parcours. Il m’a demandé d’y réfléchir et de le recontacter quelques jours plus tard. Dans l’intervalle, je suis allé trouver mon prédécesseur, Paul-Emile Schwitzgebel, qui m’a parlé. Nous avons visité l’endroit avec ma femme (ndlr : il est marié et père de trois enfants), et là, c’était plié. Un jour plus tard, je rappelais les RH pour dire que j’acceptais.

 

C’était important de pouvoir discuter avec votre prédécesseur ?

J’avais besoin qu’il me parle de la paroisse que j’allais reprendre. Car on s’en fait plein d’idées. Elle est spéciale par rapport aux autres, notamment en regard de la vie de prière qu’on peut y trouver, ou à cause du rayonnement de l’Abbatiale. La liturgie y est aussi assez traditionnelle, mais très oecuménique. Dans le jargon, on parle de liturgie «haute-Eglise», un mouvement qui a voulu remettre dans le protestantisme une belle liturgie , proche de celle que connaissent les catholiques. Si l’on n’est pas confortables avec ça, ce n’est pas un poste qu’il faut accepter.

 

Vous avez un parcours assez atypique, assez loin de cette «haute-Eglise»…

C’est vrai, les gens me connaissent plutôt pour mon côté un peu différent. J’ai bossé dans la rue, puis dans les prisons, également auprès des gens en fin de vie. Je suis très engagé dans la défense des droits LGBT et dans les thématiques liées à l’accueil des réfugiés. J’ai des tatouages et j’écoute du métal. Mais, par contre, très peu de gens savent que j’aime aller dans les monastères pour prier, que la prière des moines constitue quelque chose qui me nourrit. Je ne pensais pas que le responsable des ressources humaines en question connaissait cette facette de ma personnalité.

 

Vous arborez un tatouage à l’intérieur de votre avant-bras. Que symbolise-t-il ?

C’est une croix, qui symbolise la foi judéo-chrétienne. C’est une croix celtique, qui mélange les influences judéo-chrétiennes avec les traditions religieuses issues du Nord de l’Europe, notamment des Celtes et de la Scandinavie. Se tenir à la croisée de ces chemins-là, c’est quelque chose en quoi je me retrouve. C’est un peu oublié, mais ces influences font aussi partie de notre culture, ici. Ce tatouage rappelle mon attachement à la foi chrétienne dans tout ce qu’elle a de composite. Issu tant d’Israël que du Nord, c’est un mélange des cultures auquel je suis très sensible. Je n’aime pas le faux purisme qui croit que tout est dans des cases. Autour de cette croix, on voit des runes qui viennent du vieux futhark, un très ancien alphabet du Nord de l’Europe Actuellement, la fréquentation des églises est en baisse.

 

«Si le Grand Patron a envie d’avoir plus de fidèles, il va très bien se débrouiller tout seul.»

 

Cela vous inquiète-t-il ?

Le fait de perdre des membres ne m’inquiète pas plus que ça. Cela ne m’inquiète pas, pour autant qu’on ne néglige pas d’aller vers les gens. Pas forcément pour les convaincre de revenir, mais pour les écouter. Que vivent-ils ? Quelles sont les questions qu’ils se posent, et en quoi ce qui m’anime peut être porteur de vie pour d’autres ? C’est un peu une ligne de crête. L’idée reste d’aller vers les gens pour les rencontrer et pour se laisser interpeller par eux, et pas pour les convaincre que tu as raison. Je pense que si les gens viennent à l’église, il faut qu’ils y trouvent du sens. Si cela ne représente rien de particulier, c’est absurde. Personnellement je trouve que se rendre à l’église permet de ne pas vivre sa foi seul dans un coin. C’est précieux de pouvoir la partager avec d’autres. Et puis, cela me permet de me confronter à une parole qui n’est pas la mienne, à quelque chose qui vienne me questionner. La spiritualité, aujourd’hui est ce que l’on se construit pour soi, au plus près de nous-même. Mais la limite demeure que l’on a tendance à tourner en rond.

 

De nombreuses personnes se tournent vers d’autres religions, comme le bouddhisme par exemple. Comment jugez-vous cette évolution ?

Il y a des choses formidables dans le bouddhisme. J’ai fait une formation géniale à la méditation en pleine conscience, qui est une version laïque et contemporaine de ce que le bouddhisme peut offrir. Et ça m’a permis aussi de redécouvrir des aspects de la tradition chrétienne un peu oubliés, notamment en lien avec les moines, qui sont très proches. Je ne suis pas un pasteur dont le souci a été de convaincre les gens qu’il fallait venir chez moi. Si le Grand Patron a envie d’avoir plus de fidèles, il va très bien se débrouiller tout seul. Quand je rencontre un musulman, croyant, je me réjouis qu’il soit musulman. Pour autant qu’il n’y ai pas de dérives, mais c’est aussi valable pour les autres chrétiens. Il faut un certain nombre de garde-fous, mais toute quête de spiritualité a sa raison d’être. Je trouve génial qu’aujourd’hui les gens cherchent.

 

Vous parlez de christianisme, sans insister sur le catholicisme ou le protestantisme. Pourquoi ?

Vous savez, aujourd’hui, les choses qui nous séparent encore ne sont plus fondamentales. Deux ou trois points sur les ministères restent très différents. Pour le reste, il s’agit plutôt d’habitudes traditionnelles, des cultures d’Eglise. Pourtant, on assiste à des tentatives de repli.

 

Dans quel cadre ?

Dans le protestantisme, comment expliquer que l’on soit incapable de prendre en compte la dimension du corps, qu’on soit tellement cérébral ? Tout ce qui est symbolique a été largué, tout comme ce qui est sensoriel ou qui concerne le lien avec la nature. Souvent, lorsque l’on vit un moment qui nous transcende, tous les sens y participent et pas juste l’intellect. Toutes les influences qui reviennent à la mode aujourd’hui ravivent des dimensions importantes de la foi. Il y a, en ce sens, de grandes remises en question à effectuer.

 

Pour terminer, Nicolas Charrière, que peut-on vous souhaiter pour votre nouvelle mission ?

De la curiosité, de l’ouverture et des rencontres. La curiosité, car j’aime me laisser surprendre, j’aime découvrir de nouvelles choses. L’ouverture parce que j’espère pouvoir vivre une église encore plus ouverte. Tous les gens qui se sentent mis à l’écart, en raison de la couleur de leur peau, de leurs opinions ou de leur orientation sexuelle, j’aimerais qu’ils s’y sentent tous les bienvenus. Qu’ils y aient une place, un refuge. Et je sais que dans ce sens, nous avons encore du travail.

Finalement, vous pouvez me souhaiter des rencontres, car il s’agit d’une des plus belles choses que l’on puisse vivre.

Jean-Philippe Pressl-Wenger