Logo
La cantatrice fait son grand retour
© Michel Duperrex

La cantatrice fait son grand retour

9 décembre 2021

La mezzo-soprano yverdonnoise Véronique Valdès raconte un métier stressant mais passionnant. Interview.

Dans les couloirs du vieux collège de Grandson résonne un écho hors du temps. En ce jeudi matin de décembre, alors que les élèves sont plongés dans leur travail, un tout autre décor s’ouvre sous les combles de ce bâtiment scolaire. «Fai così con la mano! Un po’ più su! Bellissimo!» peut-on entendre en passant la porte, qui donne sur une scène drappée de blanc. Au centre de l’attention, Véronique Valdès, chanteuse lyrique originaire de la région, nous accueille avec joie et modestie dans sa robe blanche à longue traîne. Rencontre avec une femme de voix, qu’elle a emmenée jusqu’à la Fenice de Venise.

Véronique Valdès, vous êtes une chanteuse lyrique, une mezzo-soprano. Dites-nous, comment sait-on que l’on peut faire de l’opéra?

C’est physiologique et aussi génétique, selon la voix, la gorge, etc. En soi, tout le monde pourrait en faire, selon les répertoires. Pour la voix, ça ne vient pas comme ça. Souvent c’est parce que l’on a été frappé par quelqu’un qu’on admire et ensuite on s’entraîne. Il arrive aussi que ce soient des gens qui vous disent que vous avez la voix pour. Mais avant tout, il faut le vouloir passionnément, avoir la volonté de le faire.

Vous vous produirez samedi à Genève pour Voix humaines. Qu’est-ce qui vous amène à Grandson?

C’est très compliqué en règle générale de trouver des salles de répétition à Genève, d’autant plus avec le Covid. Nous sommes donc ici pour répéter pendant deux semaines, grâce à la générosité de la Commune. C’est très sympa de revenir ici, loin de la tourmente genevoise.

Revenir…?

J’ai fait mon école dans ce collège! Je viens d’Yverdon et j’ai fait plusieurs concerts dans le Nord vaudois. Je faisais partie du chœur de l’école ici. C’est très drôle de revenir des années après avec une production internationale. A l’époque, je ne pensais même pas devenir chanteuse d’opéra. C’est agréable de se sentir un peu chez soi.

J’imagine que l’on n’a pas toujours un «chez soi» fixe avec ce métier?

En effet, il faut beaucoup voyager si on veut faire de l’international et se faire repérer. Cela demande beaucoup d’auditions et de prospection. Et aussi de partir pour se vider la tête.

C’est votre cas?

Oui, je suis partie trois ans à New York pour y faire mon master. On allait beaucoup à Broadway voir des spectacles. C’était une période extraordinaire de ma vie. Et je suis revenue ici car c’est plus simple de trouver du travail en Europe. C’est aussi pour cela que je vis à Genève aujourd’hui car c’est une ville qui offre des possibilités internationales et c’est proche de l’aéroport. J’aime beaucoup déménager, aller dans de nouveaux endroits. Mes deux amours sont New York et l’Italie.

Au-delà des voyages, l’opéra est un art très exigeant…

Il faut s’y dédier, ce n’est que comme ça qu’on sait si on peut le faire ou pas. Car chanter à l’opéra demande d’avoir une hygiène de vie irréprochable, un peu comme les sportifs. L’instrument, c’est nous. C’est un métier qui peut être cruel, on est toujours jugé, on n’a pas le droit à l’erreur. C’est risqué, il y a beaucoup de stress, de pression. Il faut être d’accord d’encaisser des refus et toujours se relever quand même. Parfois, il faut aller jusqu’en Allemagne pour auditionner cinq minutes et ne pas être pris. Mais c’est compensé par les représentations, car ce sont des joies qu’on n’a pas souvent dans la vie.

A quoi ressemble une journée de travail pour une cantatrice?

Par exemple cette semaine on s’entraîne, avec la metteure en scène et le costumier, environ cinq heures par jour. Un interprète lyrique ne peut pas chanter plus de deux ou trois heures en pleine voix. Puis j’apprends les gestes, la chorégraphie, je travaille la langue. Il y a peu de travail vocal en lui-même, c’est ce qui est passionnant avec l’opéra, on est aussi des acteurs, on fait du théâtre. Car une voix c’est très beau une soirée, mais on l’oublie vite. Petite, je voulais d’ailleurs être comédienne, je ne suis pas spécialement fan des vocalises en soi, mais plutôt d’incarner des personnages.

Quel serait votre rôle de rêve?

Les mezzo-soprano ont souvent des rôles de jeunes garçons, à cause de la voix, comme un ado qui n’a pas mué. Mais comme tous les mezzo, j’aimerais un jour faire Carmen.

Carmen est un opéra français. Comment faites-vous pour chanter dans d’autres langues?

J’aime beaucoup chanter en français. Autrement, les langues que j’aime bien, j’essaie de les apprendre un peu, comme le russe. C’est magnifique à chanter, c’est très vocal. C’est aussi par l’opéra que j’ai appris l’italien. Une fois j’ai dû chanter en bulgare. Devant des Bulgares! Là, j’ai dû apprendre par cœur, comme un enfant qui récite. Et ça a marché.

Où en êtes-vous dans votre carrière actuellement?

J’ai d’abord fait du théâtre, puis je me suis entraînée pour aller au Conservatoire. J’ai commencé l’opéra à 19 ans, mais je suis encore en début de carrière. Je dois encore passer beaucoup d’auditions et prospecter. On doit un peu se faire entrepreneur soi-même, c’est un double métier. Jusqu’à ce que l’on devienne célèbre.

C’est quelque chose que vous envisagez?

Je suis assez optimiste. J’aimerais continuer à travailler dans des grands théâtres, faire de belles productions. J’ai notamment pas mal de concerts prévus pour 2022.

Vous donnez beaucoup de votre temps à l’opéra. Et votre vie privée?

C’est vrai que j’aime y penser 24 heures sur 24. Mais je me force à essayer d’en sortir un peu. Il faut de la discipline pour s’en détacher, je le fais par le sport ou par le voyage. Spécialement dans les Pouilles en Italie, à Salento. C’est hors du temps, ça me recentre. C’est le seul endroit où je ne pense pas à l’opéra, car ça n’a pas de sens là-bas.

Léa Perrin