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La chasse à la bécasse dans la région sur les traces d’un passionné

27 octobre 2015

Tévenon – L’oiseau, fraîchement débarqué du nord de la Russie, est de retour dans le massif jurassien, pour le plus grand bonheur des chasseurs. Reportage en compagnie de Jean-Claude Givel, un engagé qui explique pourquoi sa passion séculaire, régulièrement mise à mal par différents détracteurs, doit perdurer coûte que coûte.

Jean-Claude Givel «dans son jardin», sur les hauteurs de la commune de Tévenon. © Bobby C. Alkabes

Jean-Claude Givel «dans son jardin», sur les hauteurs de la commune de Tévenon.

Le climat est morose sur le plateau, ce lundi matin, au moment d’entamer l’ascension vers le Balcon du Jura. Trois chevreuils surgissent le long d’une lisière, non loin de Vaugondry, fragiles apparitions sous le brouillard tenace. Des promesses d’une matinée giboyeuse? C’est sûrement ce qu’espère l’Yverdonnois Jean-Claude Givel, chasseur depuis 36 ans. Deux bonnes nouvelles sont, en tout cas, au rendez-vous au terminus de La Combe, sur les hauteurs de la Commune de Tévenon. Le stratus est resté accroché au flanc du Jura, sous le village de Mauborget et Youla, la femelle Pointer âgée de cinq ans, qui court à vive allure autour de la voiture garée dans le pâturage, est d’attaque pour jouer le rôle primordial qu’elle se verra attribuer.

Une as du camouflage

L’arme du chasseur: un fusil calibre 32, doté d’une crosse anglaise. © Bobby C. Alkabes

L’arme du chasseur: un fusil calibre 32, doté d’une crosse anglaise.

C’est que la bécasse, l’oiseau traqué aujourd’hui, est passée maître dans l’art du camouflage, son plumage aux nombreuses nuances de brun se fondant à merveille avec le tapis de feuilles mortes recouvrant le sol de la forêt à cette période de l’année. Comptant sur ce mimétisme, le volatile, dont le poids oscille entre 350 et 400 grammes, reste immobile à l’approche d’un danger, et l’odorat canin s’avère un outil indispensable pour le localiser. Dans ce contexte, l’affût silencieux n’est pas la solution. Il faut beaucoup se déplacer et être attentif au comportement du chien muni d’une clochette. Si cette dernière cesse de sonner, il est probable que la fine truffe s’est arrêtée pour signaler la présence d’une proie à proximité.

Chasse à l’arrêt

Youla a été munie d’une clochette, pour être retrouvée dans la forêt. © Bobby C. Alkabes

Youla a été munie d’une clochette, pour être retrouvée dans la forêt.

«Le chien remonte la piste olfactive et se rapproche assez pour que l’oiseau ne s’envole pas, mais pas trop pour ne pas l’effrayer. J’avance ensuite dans sa direction, ou je lance un bout de bois pour faire s’envoler la bécasse», explique Jean-Claude Givel. Le succès n’est pas pour autant garanti: aussi expérimenté soit-il, l’Yverdonnois estime, en moyenne, repartir avec un individu sur dix débusqués.

La saison de la chasse à la bécasse s’étire, cette année, de mi-octobre à mi-décembre. Durant ce laps de temps, chaque chasseur a l’autorisation de prélever un maximum de dix volatiles.

Des oiseaux migrateurs

Le chasseur rappelait, de temps à autres, sa chienne à l’ordre avec un sifflet. © Bobby C. Alkabes

Le chasseur rappelait, de temps à autres, sa chienne à l’ordre avec un sifflet.

Les bécasses sont des migratrices qui quittent le nord de la Russie quand le gel les empêchent de planter leur long bec dans le sol à la recherche d’invertébrés, comme des mille-pattes ou des vers.

Dans notre région, ces visiteurs ailés s’établissent d’abord à une altitude allant de 1000 à 1200 mètres, puis descendent dans la plaine, ou s’en vont vers des contrées plus clémentes, telles que l’Espagne et l’Afrique du Nord.

Arrivé dans une clairière, Jean-Claude Givel montre des dégâts causés par les sangliers, puis des empreintes de chevreuil. En revanche, pas de trace de bécasse.

Un alerte sexagénaire

Jean-Claude Givel bredouille mais heureux de cette bouffée de nature. © Bobby C. Alkabes

Jean-Claude Givel bredouille mais heureux de cette bouffée de nature.

Youla s’engage dans un coteau boisé avec, en arrière-plan, une vue plongeante sur la mer de brouillard. Il n’est pas aisé de suivre l’alerte chasseur de 66 ans dans la descente. Son pas sûr déjoue sans effort apparent les pièges que pourraient constituer les cailloux couverts de mousse humide.

Le pique-nique ne s’éloigne pas du thème de la journée. Une terrine de chamois concoctée par Pierrick Suter, de l’Hôtel-Restaurant de la Gare, à Lucens, à partir d’un animal tiré par Jean-Claude Givel, garnit avantageusement le pain. «Voici une belle façon de valoriser le produit de la chasse», déclare l’Yverdonnois. La bécasse? Délicieuse en entrée, sur des toastes, mélangée avec du foie gras, indique-t-il.

A peine arrivée dans le dernier coin, où se déploie un parterre de mousse d’un vert intense , Youla devient quasi incontrôlable, ne réagissant pas aux coups de sifflet de son maître avec la promptitude habituelle. «J’ai levé quatre bécasses à cet endroit jeudi passé, elle s’en souvient», commente notre guide, faisant grandir l’espoir d’une belle rencontre avec le monde sauvage. Celle-ci n’aura, hélas, pas lieu. Le compteur de Jean-Claude Givel reste provisoirement bloqué à un oiseau, tué la semaine passée, mais l’essentiel est ailleurs. «Quand je suis ici, tout seul, je suis le maître du monde. C’est mon jardin», déclare le fringant retraité, avant de repartir dans la forêt, sur les traces de Youla.

 

Engagé pour défendre une tradition millénaire

La bécasse des bois se rencontre dans la zone paléartique, c’est-à-dire l’Europe, l’Afrique du Nord et les deux deux-tiers nords de l’Asie. Sa population, stable, s’élève à environ 25 millions d’individus. © Jürgen Schiersmann

La bécasse des bois se rencontre dans la zone paléartique, c’est-à-dire l’Europe, l’Afrique du Nord et les deux deux-tiers nords de l’Asie. Sa population, stable, s’élève à environ 25 millions d’individus.

Membre des comités de Diana Suisse, de Diana Vaud, mais aussi de Chasse Suisse, l’Yverdonnois Jean-Claude Givel conjugue au pluriel son engagement pour défendre les intérêts des chasseurs. Dernier exemple en date: sa participation à l’émission de la RTS «Faut pas croire», intitulée «Chasse: permis de tuer», dont deux rediffusions sont programmées (aujourd’hui à 11h30 et vendredi à 15h30 sur RTS Deux). «La chasse ne doit pas devenir uniquement un outil de régulation. Il s’agit d’une tradition qui existe depuis des milliers d’années et elle doit perdurer. Lorsque l’on a un pommier dans son jardin, on y récolte régulièrement les fruits», commente le militant fatigué de l’image d’«ivrognes sans cerveau, de tueurs sanguinaires» qui colle aux basques des chasseurs. Désireuse de redorer le blason du milieu, Diana Suisse a, d’ailleurs, publié une déclaration des chasseurs romands regroupés au sein de la fédération.

Ludovic Pillonel