Chaque semaine, un habitant du Nord vaudois ouvre l’album de ses souvenirs et une fenêtre sur son village.
Devant sa ferme, située en plein cœur d’Ogens, Annette Riond se tient droite comme un «i». La nonagénaire, qui soufflera ses 91 bougies dans deux semaines, est connue de tous dans ce village du Gros-de-Vaud. Au sein de la population, elle a une position dont elle n’est pas peu fière: elle en est la doyenne.
Difficile pourtant d’imaginer que cette grand-mère portant un tablier à fleurs rose et vert ainsi qu’un jean est la plus ancienne de la localité. Hormis quelques problèmes d’ouïe, Annette Riond affiche une forme déconcertante. Elle justifie ses longues années passées à Ogens non sans humour: «Cela fait 66 ans que je suis dans la même cuisine.» Plantée au beau milieu de l’ancien âtre, témoin d’un passé aujourd’hui révolu, la nonagénaire est très loquace. «Avant, il y avait un vieux fourneau à bois. On cuisinait directement sur la flamme», précise-t-elle avec son bon accent vaudois. Aujourd’hui, c’est avec une cuisinière classique que la retraitée prépare ses repas. «Je dois juste sortir un gâteau du four, ce sera pour midi.» Alors que la douceur refroidit sur son plan de travail, Annette Riond s’assied à table. Une table joliment décorée avec un large bouquet de fleurs. Juste à côté, trois tulipes rosées baignent dans un petit vase.
Tout au long de sa vie, cette grand-mère s’est investie pour Ogens et les villages alentour. «J’ai été secrétaire du Conseil général pendant une quinzaine d’années», poursuit-elle. Toutefois, là où elle a été le plus active, c’est au sein de la paroisse. Derrière l’harmonium, Annette Riond a joué pour bon nombre de cérémonies durant trente ans. «Je me suis occupée des aînés de la paroisse. J’ai eu beaucoup de plaisir et j’ai appris auprès d’eux.»
Annette a aussi été membre de la société de laiterie, ainsi que de la société de gymnastique. Sur la question du sport, elle a un avis bien tranché: «Faut se bouger, se muscler. Même à mon âge, il ne faut rien lâcher!» Chaque jour, elle part se promener dans son village préféré. Elle va souvent se réfugier dans son endroit fétiche: la Condémine, sise sur les hauteurs, à l’entrée de la localité. Elle s’assied sur un banc, sous un magnifique noyer. Et de là, elle regarde la campagne qui s’offre à elle.
Native de Bioley-Magnoux, Annette Riond peut alors s’évader dans ses souvenirs. «Mes parents étaient paysans. Je les ai toujours aidés». à 16 ans, Annette Riond part apprendre l’allemand dans l’Emmental, dans le canton de Berne. «J’étais dans une famille. Je devais poutzer alors que tout était propre. Mais je poutzais quand même», affirme-t-elle en éclatant de rire. Ne gardant pas sa langue dans sa poche, Annette Riond poursuit, alors qu’elle vient d’allumer sa première cigarette de la journée. «J’avais du succès dans les bals de jeunesse et j’enchaînais les flirts. J’en ai eu, des bons amis.»
Fraîchement diplômée de l’école ménagère rurale de Marcelin, à Morges, Annette Riond rencontre Claude, son mari, à son retour dans le Gros-de-Vaud. «Nous nous sommes fréquentés et, après, ça a mordu!» Après leur mariage, elle rejoint son époux à Ogens et travaille à la ferme avec lui. Le couple a trois enfants: Jean-Philippe, Jean-Marcel et Christophe.
Malgré la présence de ses enfants, la nonagénaire se sent souvent seule aujourd’hui. Surtout depuis le décès de son époux, il y a quinze ans. «On dit que la solitude n’existe pas. Je ne suis pas d’accord. Claude me manque tous les jours.»