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La doyenne de la Cité du Fer raconte 105 ans de souvenirs

19 mai 2021

Madeleine Falcy vient de fêter ses 105 ans. A cette occasion, qui ne semble pas être la dernière, les villageois lui ont rendu hommage. Rencontre avec une femme forte d’avant-gardisme et de liberté.

«J’ai reçu une avalanche de courrier!» s’émeut Madeleine Falcy, la plus ancienne des Vallorbières. «C’était une immense surprise de mon petit-fils. J’étais toute ravie et très étonnée de cet élan.» Et pour cause, cette myriade de courrier est arrivée dans la boîte aux lettres de Madeleine Falcy à l’occasion de son anniversaire. Le 105e! Rien d’extraordinaire à ses yeux… Mais la population vallorbière ne semblait pas de cet avis… Pour ce jour particulier, son petit-fils Mallory Gunawardhana, basé au Sri Lanka, a proposé sur Facebook aux villageois d’envoyer des cartes et autres attentions à sa grand-maman, enfermée chez elle depuis le début de la pandémie, il y a plus d’une année.

Et si Madeleine Falcy porte 105 ans de souvenirs sur ses épaules, ce n’est pas ce qui l’empêche d’être en pleine forme, physique et mentale. Pourtant, l’histoire de sa vie ne s’écrit pas sur une page. «Après toutes les naissances, les décès et les désastres, c’était une vie bien remplie!» assure-t-elle avec modestie.

Et tout au long de cette longue vie, elle a grandi au rythme de la société et des nombreuses évolutions des XXe et XXIe siècles. «J’ai vu bien des évolutions dans cette vie. Je suis née pendant la Première Guerre mondiale, j’ai vu la Seconde et maintenant on en vit presque une troisième! J’ai vu les avancées techniques, technologiques, la médecine, les chemins de fer, la communication, l’éducation. Et la révolution des femmes pour le mouvement féministe.»

Ce mouvement, justement, Madeleine Falcy le connaît bien. S’il bat son plein depuis quelques années, la Vallorbière prônait déjà sa défense il y a bien longtemps. «Il faut défendre les femmes. Heureusement, ça a déjà bien changé.» Mais Madeleine Falcy ne s’est pas pour autant laissé faire à son époque. «J’ai pu choisir un peu mon avenir. J’ai toujours gardé mes prérogatives, j’avais mon propre porte-monnaie, je me suis toujours sentie égale à mon mari.»

Le féminisme n’est pas le seul combat avant-gardiste qui a guidé la vie de Madeleine Falcy, puisqu’elle a également adopté un enfant sri-lankais de 19 ans, après avoir perdu son seul enfant.

Et sa jeunesse n’a pas été celle de tous les enfants de la génération 1910. «Notre bonheur, avec mon mari, c’était les voyages. Nous avons parcouru tous les continents, sauf l’Australie.» Un avantage peu commun à cette époque, surtout pour une habitante de la campagne nord-vaudoise. Et Madeleine Falcy ne manque pas de souligner la nuance: «Vous savez, avant, on voyageait très habillés, il fallait voir! Maintenant, on peut prendre l’avion en salopette!» Si la doyenne n’a jamais vraiment quitté Vallorbe, elle l’a emmenée un peu partout avec elle: au Brésil, au cœur de l’Amazonie, aux Etats-Unis, au Mexique ou encore au Sri Lanka.

«Il y a des endroits merveilleux partout. Après avoir passé plus de 100 ans à Vallorbe, il me fallait bien voir autre chose! Mais à la fin, on rentrait quand même dans notre petit patelin. Et on se rappelait comme on y était bien!» raconte-t-elle avec humour, une qualité qu’elle n’a pas perdue.

Et ce petit patelin, qu’elle a vu s’agrandir en 105 ans, elle ne l’a jamais renié. Ecole, apprentissage, mariage, carrière, retraite… Pourtant, cette sédentarité, elle ne l’a pas forcément choisie, notamment à cause du métier de son mari, Roland Falcy, garde-forestier et gérant pour un temps des Grottes de Vallorbe. «Je n’ai juste pas eu l’opportunité de vivre ailleurs. C’est pourquoi je changeais d’horizon grâce aux voyages», raconte la centenaire.

Madeleine Falcy est notamment connue pour avoir tenu Le Chausson Rouge, une boutique de chaussures, pendant 25 ans, après avoir suivi une formation de couturière. «Ma maman m’avait convaincue de faire couturière pour pouvoir créer mes robes et reprendre les vêtements de mes enfants. Je suis contente d’avoir ce métier dans les mains et maman avait raison! J’ai pu faire mes robes et celles de mes copines pour aller danser. J’aimais beaucoup aller danser.» Mais tenir Le Chausson Rouge n’est pas forcément son meilleur souvenir. «C’était intéressant, mais c’était pas mon dada», avoue-t-elle avec du recul. «En y pensant maintenant, j’aurais voulu faire autre chose comme métier.»

Et le rêve de Madeleine Falcy était effectivement tout autre. «J’aurais voulu avoir un immense ranch et m’occuper des animaux. J’aurais aussi adoré voyager en Inde.»

Après une vie bien remplie, et même si elle a vu une bonne partie de ses amies et de ses proches s’en aller, la Vallorbière ne se laisse pas aller pour autant. A 105 ans, elle vit encore seule dans son appartement, se fait à manger et sa lessive. «On m’a reproché d’être trop indépendante. Mais je n’aime pas déranger les gens», dit-elle timidement. «Elle a un caractère de battante, raconte l’une de ses amies. Une fois, l’ascenseur était en panne, alors elle est montée les huit étages à pied toute seule. Elle avait plus de 100 ans.»

Si Madeleine Falcy rit de bon cœur en se demandant si elle vivra d’autres anniversaires, son secret de longévité se cache justement dans ce rire. Et l’amour. «L’amour est plus fort que tout! J’ai d’ailleurs été mariée pendant 65 ans. Mais surtout, il faut rire, avoir de l’humour et ne pas se prendre au sérieux.»

Toujours au goût du jour, elle continue à suivre les changements de la modernité, à écouter la radio, à s’intéresser à tout. Et dans l’actualité sanitaire que l’on vit, ceux que Madeleine Falcy plaint le plus, ce ne sont pas les personnes âgées. Mais les jeunes. «Vous êtes encore des petits oisillons! Où est-ce que vous allez pour sortir danser quand tout est fermé?» s’inquiète-t-elle. «Après avoir vu ce monde changer énormément, je me dis qu’on est allé un peu trop loin. Avant la pandémie, le monde était pris dans une course effrénée. Maintenant, on ralentit et je compte là-dessus pour que ça continue!»

Des souvenirs, mais aussi et encore des rêves en tête, Madeleine Falcy n’a pas tout à fait fini d’écrire son histoire.

 

105 ans d’évolution

 

Depuis sa naissance en 1916, Madeleine Falcy a notamment pu voir arriver:

-Le congélateur (1930)
-Le stylo à bille (1938)
-La télévision (1926)
-Le premier film parlant
(1927, Le chanteur de Jazz)
-L’ordinateur (1941)
-La première greffe d’organe (1954)
-La pilule contraceptive (1960)
-Le premier homme sur la lune (1969)
-Internet (1972) et le World Wide Web
(www.) (1989)
-Le téléphone portable (1973 et 1994 pour
la première forme de smartphone)

Léa Perrin