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La Maison d’Ailleurs suscite la convoitise

25 novembre 2014

Fort du colossal succès de sa dernière exposition, il n’est pas un jour sans que le musée yverdonnois ne soit récupéré à des fins politiques. En effet, qu’ils soient de gauche ou de droite, à l’heure de défendre un bilan ou de faire des promesses, nombreux sont ceux qui s’appuient sur le succès de la Maison d’Ailleurs. Opportunisme? Réel intérêt? Et, finalement, à qui revient le véritable mérite de ce succès? Entretien avec le directeur du musée, Marc Atallah.

Marc Atallah fait le point. DR

Marc Atallah fait le point.

Marc Atallah, après le succès sans précédent de l’exposition «Superman, Batman & Co…mics! », vous venez d’ouvrir les portes de votre nouvelle exposition, «Alphabrick». Comment se passent les premiers jours?

Très bien. D’abord parce que, lors du premier week-end, un peu plus de 1000 personnes sont venues la visiter. Et, ensuite, parce que la présence de la conseillère d’Etat Anne- Catherine Lyon lors du vernissage -fait exceptionnel s’agissant d’un musée qui n’est pas cantonal- a été un signe fort. Ceci d’autant plus qu’elle a été élogieuse envers notre travail et a rappelé à nos politiques, ainsi qu’à nos responsables de la culture, qu’il existait la possibilité de solliciter l’aide du Canton pour ce type d’institution.

A ces mêmes politiques qui, depuis plusieurs semaines, et plus encore depuis le début de la campagne pour l’élection à la Municipalité, mettent en avant la Ville par le biais de la réussite de la Maison d’Ailleurs. Comment vivez-vous cette situation?

Franchement, en tant que directeur, cela fait toujours plaisir que l’image de son musée puisse être utilisée par les politiques. Parce que cela veut avant tout dire que l’on fait bien notre travail. Mais je ne suis pas naïf et je vois bien les enjeux, par ailleurs compréhensibles, qu’il y a derrière. Maintenant, la question que je me suis toujours posée, par rapport à cette récupération, est de savoir si, au-delà de l’image de la Maison d’Ailleurs, ils sont capables de bien comprendre en quoi consiste notre travail et, du coup, de l’apprécier. En fait, ce qui serait vraiment bien, c’est que les personnes qui mettent en avant le musée en soient réellement aussi fières que le sont les Yverdonnois.

Justement, avant le vernissage de la semaine dernière, vous avez vu beaucoup de ces politiques à la Maison d’Ailleurs?

(Rires) Vous savez, je ne suis pas toujours au musée… Par contre, je sais que Marc-André Burkhard est un grand fan de la dernière expo et que le syndic apprécie beaucoup notre travail. Il s’est d’ailleurs beaucoup investi pour le musée.

En même temps, sans le soutien de la Ville, il n’y aurait pas de Maison d’Ailleurs…

C’est vrai. Ne serait-ce que parce que les immeubles et les collections appartiennent à la Commune.

Et pour ce qui est du financement?

Et bien, avant la création du Service de la culture, en 2012, la Maison d’Ailleurs, qui est gérée par une fondation privée, était au bénéfice d’une convention. Cette dernière prévoyait que la subvention communale couvre le budget de fonctionnement, soit les salaires et les charges fixes, ainsi que la conservation et l’extension de la collection qui appartient à la Ville. Ce qui représentait, sur le budget total, 70% de subvention et 30% d’argent de tiers.

Et depuis?

Depuis, c’est un peu plus flou, puisque nous attendons toujours notre nouvelle convention avec la Ville de la part du Service de la culture. Mais, pratiquement, aujourd’hui, la subvention communale couvre 40% du budget total et 60% sont couverts par des privés.

Ce qui veut donc dire que la conservation et l’extension des collections de la Ville sont aujourd’hui financées par des sponsors?

Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. En fait, cela dépend de la manière dont je répartis l’argent. Mais concrètement, aujourd’hui, une partie des charges fixes liées à la communication et à la médiation culturelle, qui sont nos points forts, notamment en matière de rayonnement, sont effectivement assurées par des tiers. A noter, point important, que le coût des dernières expositions est passé à environ 150 000 francs aujourd’hui, alors qu’il était, jadis, 60 à 70 000 francs. Mais cette hausse permet, en contrepartie, de proposer des expositions dont on parle plus, que l’on vend au niveau international et qui, de fait, rapportent aussi plus d’argent.

Mais, sachant que les sponsors seront présents tant que le musée fait parler de lui et, sans doute, moins en cas d’échec, ce changement de paradigme, cette évolution et, paradoxalement, ce succès, n’est-il pas problématique pour l’avenir de la Maison d’Ailleurs?

Non, pas dans l’immédiat, parce que toute l’équipe du musée travaille beaucoup afin de rester sous le feu des projecteurs. Mais, avec le temps, c’est sûr que cela deviendra problématique. On pourrait, par exemple, être amené à diminuer nos effectifs ou, en continuant à ce rythme, finir par s’épuiser. Le fait qu’aujourd’hui, pour une fréquentation qui se situe entre 20 et 25 000 visiteurs par an et une réputation qui va bien au-delà de nos frontières, la Maison d’Ailleurs ne peut compter que sur 4,2 postes équivalents plein temps. A titre d’exemple, le Musée suisse du jeu ou le Musée de la main, qui accueillent un nombre similaire de visiteurs, fonctionnent avec une dizaine d’équivalents temps plein pour un rayonnement moindre.

Donc, aujourd’hui, Marc Atallah, votre message à tous ces politiques qui surfent sur le succès de la Maison d’Ailleurs, c’est quoi? Donnez-moi de l’argent pour que je puisse engager des gens?

Non, je ne suis pas en train de faire la manche et je ne le ferai jamais. Mon message est simplement le suivant: si, aujourd’hui, certaines personnes s’appuient sur l’image de la Maison d’Ailleurs, c’est très bien. Simplement, il est bien de savoir comment et grâce à qui cela a été rendu possible. Et ensuite, il faut faire des choix. Soit on veut continuer de miser sur une Maison d’Ailleurs qui a les moyens d’exporter l’image de la Ville, et alors le politique devra lui en donner les moyens, soit on se contente d’un musée qui a un rayonnement régional.

Raphaël Muriset