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La Mentue en proie aux pesticides

7 mars 2014

La rivière qui serpente en partie dans le Nord vaudois fait partie des cinq cours d’eau nationaux inclus dans un étude de l’institut de recherche sur l’eau. La pollution y règne.

Roland Gilgen, de Donneloye, qui pêche dans la Mentue depuis plus de 40 ans, constate une diminution du nombre de poissons.

Roland Gilgen, de Donneloye, qui pêche dans la Mentue depuis plus de 40 ans, constate une diminution du nombre de poissons.

En tant que représentante typique du plateau, la Mentue a été incluse dans une action scientifique visant à déterminer la teneur et la nature des polluants dans les cours d’eau suisse. Publiés dernièrement, les résultats sont édifiants. Dans 78% des échantillons prélevés issus des cinq rivières soumises à l’étude, la valeur légale d’un microgramme par litre est dépassée. Pas moins de 104 substances, dont 82 produits phytosanitaires, ont été répertoriées. Plus inquiétant encore, aux yeux des chercheurs, la concentration de pesticides recensés est trop souvent supérieure aux normes et certains d’entre eux sont jugés très toxiques. Comme l’a relevé mercredi soir la RTS, ce bilan désastreux semble contredire une étude menée en 2011 par le Canton, qui jugeait la qualité biologique de l’eau de la Mentue «bonne» à «très bonne».

Pas de contradiction

Selon Philippe Vioget, responsable de la division protection des eaux de la Direction générale de l’environnement (DGE), «il n’y a pas de contradiction entre ces deux études, mais au contraire une assez bonne cohérence. L’institut de recherche sur l’eau (EAWAG) montre que, dans les cours d’eau du Plateau, les eaux présentent une qualité chimique mauvaise, ce que le Canton constate aussi depuis de nombreuses années. L’incidence d’une mauvais note chimique sur l’indice de qualité biologique (IBCH) est très difficile à établir. L’IBCH fluctue d’une année à l’autre en fonction des multiples «agressions» (morphologie, imperméabilisation, température, étiages, crues, pollutions et autres) que subissent les cours d’eau».

A l’heure qu’il est, l’impact des substances polluantes sur les habitants de la Mentue n’a pas été déterminé scientifiquement. Reste la réalité du terrain. Domicilié à Donneloye, Roland Gilgen a pour habitude de lancer sa canne à pêche dans cette rivière. Pêcheur depuis plus de quarante ans, il a eu l’occasion de constater la diminution des populations de poissons qui y trouvent refuge. «Au début, je n’avais pas trop de peine à ramener rapidement deux truites pour un repas. Maintenant, je suis content quand j’en ramène une après deux ou trois heures de pêche», indique-t-il.

Roland Gilgen souligne toutefois que la Mentue reste, malgré tout, «l’une des bonnes rivières de la région», principalement dans son cours supérieur. «On trouve encore des poissons de Bercher à Donneloye. En revanche, il n’y a presque plus rien de Donneloye à Yvonand», préciset- il.

Moins de poissons

Le conservateur cantonal de la pêche et des milieux aquatiques Frédéric Hofmann relève «la très grande valeur de la Mentue» d’un point de vue biologique. Il s’agit, notamment, de l’un des derniers bastions vaudois de l’ombre commune et d’un refuge d’importance pour les invertébrés. La baisse du nombre de poissons constatée dans la rivière n’a rien d’étonnant dans la mesure où cette tendance s’applique à l’ensemble des cours d’eau du Canton.

S’agissant de la problématique de la pollution des rivières, Frédéric Hofmann émet quelques observations, sans prétendre avoir de compétence scientifique dans le domaine : «Autrefois, les signes de dégradation y étaient visibles (présence d’algues et de déchets, par exemple).

Aujourd’hui, la pollution s’effectue de manière plus sournoise et, compte tenu de la courte durée de vie des organismes aquatiques, il n’est pas exclu qu’elle ait un impact sur eux sans que cela ait pu être démontré», conclut-il.

 

Yves Pellaux signale que la lutte contre les pesticides ne date pas d’hier dans l’agriculture

«Il y a vingt ans que nous connaissons ce type de problème»

Montré du doigt par les auteurs de l’étude, le milieu agricole fait profil bas. «Ces résultats ne sont pas une surprise. Nous avons conscience des problèmes de résidus dans les cours d’eau du type de la Mentue, surtout en période estivale, où leur débit est faible», indique Yves Pellaux, syndic de Pomy et président de Prométerre.

S’il admet que «la majorité des pesticides proviennent de l’agriculture », il rappelle que certains produits utilisés par les particuliers pour l’entretien de leur terrasse ou de leur jardin sont identiques.

«Des démarches sont entreprises depuis vingt ans pour diminuer au maximum les risques de ruissellement dans les cours d’eau. Les instituts de formation agricoles ont intégré cette problématique dans leurs programmes. Par ailleurs, les pulvérisateurs sont dotés d’un réservoir d’eau claire, un système obligatoire depuis plusieurs années qui permet d’éviter la propagation de pesticides dans des grilles d’écoulement lors du rinçage de l’appareil», relève Yves Pellaux.

Il ne cache pas que de faire évoluer les mentalités est un «travail de longue haleine». «Lorsque j’étais en formation, on me disait : va seulement rincer le pulvérisateur au bout du champ», se souvient le Nord-Vaudois.

 Dans l’air du temps

L’agriculture respectueuse de l’environnement est désormais la tendance. «Des exploitations arborent des labels comme IP-Suisse pour signaler qu’elles n’utilisent plus de fongicides ou d’insecticides », ajoute-t-il. Mais la disparition des pesticides n’est cependant pas d’actualité.

«Il est très difficile d’y échapper. Se passer de produits phytosanitaires impliquerait de trouver de la main-d’oeuvre pour arracher les mauvaises herbes et qui serait prête à le faire», conclut Yves Pelllaux.