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L’adieu à l’un des «hommes du défi»

30 décembre 2013

Au lendemain de Noël s’est éteint à l’âge de 93 ans Eric Guinchard, fondateur en 1968 de Guinchard Verre Optique. Avec le Neuchâtelois d’origine disparaît l’un des grands entrepreneurs qui ont permis au Nord vaudois de surmonter la crise.

Photo d’Eric Guinchard, tout sourire, prise quelques jours seulement avant son décès. A 93 ans, il fourmillait encore de projets.

Photo d’Eric Guinchard, tout sourire, prise quelques jours seulement avant son décès. A 93 ans, il fourmillait encore de projets.

Le maître-mot de sa vie fut celui d’«entrepreneur». D’une société créée dans le garage de sa maison à la fin des années soixante à Yverdon-les- Bains, Eric Guinchard a fait l’un des leaders du secteur de l’optique. Le parcours de ce Neuchâtelois d’origine, décédé le 26 décembre dernier au vénérable âge de 93 ans, est une véritable «sucess story», n’ayant que peu de choses à envier à celle d’une société comme Hewlett-Packard.

Rien ne prédestinait le fils du laitier de Gorgier à une telle trajectoire. A part peut-être une propension à être en avance sur son temps. Déjà, en 1939, trois semaines avant que n’éclate la Seconde guerre mondiale, il décroche un diplôme d’électrotechnicien, un titre encore méconnu, ce qui le poussera à chercher un emploi en tant que mécanicien. Après avoir travaillé à Berne quelques années, il débarque en mars 1943 à Sainte- Croix, engagé par la maison Paillard au poste de chef du contrôle cinéma. C’est le tournant de sa carrière. L’homme découvre ce qui sera la passion d’une vie, l’optique. En 1948, Eric Guinchard est déplacé sur le site d’Yverdon-les-Bains, où il est notamment chargé du contrôle de la mise au point de l’objectif de la Bolex H-16, le produit vedette de Paillard. La H-16, c’est la caméra des aventuriers de l’époque.

Durant près de vingt-cinq ans, Eric Guinchard occupera différents postes à responsabilité au sein de Paillard. Pourtant l’homme ne cesse de s’imaginer en indépendant. A l’automne 1968, il se jette à l’eau et crée la nouvelle entreprise Guinchard Verre Optique, dont les locaux occupent le garage de la villa familiale à Yverdon-les-Bains, rue des Condemines, ainsi qu’un local adjacent de 18m2. Toute la famille s’y met. Sa femme Renée et les enfants fraisent et percent. La petite entreprise connaît des hauts et des bas. Les commandes viennent, puis s’arrêtent. Quand il n’y a pas de travail, Eric Guinchard s’occupe du jardin.

Dans l’aéronautique

Située à Y-Parc, devenue Schott Suisse SA, l’entreprise, créée en 1968 par Eric Guinchard dans le garage de sa maison, compte aujourd’hui près de 200 employés. L’héritage d’un grand entrepreneur.

Située à Y-Parc, devenue Schott Suisse SA, l’entreprise, créée en 1968 par Eric Guinchard dans le garage de sa maison, compte aujourd’hui près de 200 employés. L’héritage d’un grand entrepreneur.

En juin 1976, l’entrepreneur installe ses machines dans de nouveaux locaux, dans l’ancienne usine de cigarettes B.A.T., à la ruelle Vautier. Rapidement, les effectifs passent à dix ouvriers. La société prend véritablement son envol. Il fournit entre autre des optiques pour les instruments de cockpit d’avion aux Etats- Unis. En 1989, Eric Guinchard remet la direction à son fils Jacques. Sept ans plus tard, elle est la première industrie à s’installer sur le site d’Y-Parc, donnant un nouvel essor au Parc scientifique et technologique.

En 2000, l’entreprise sera finalement rachetée par le groupe allemand Schott, leader dans la production et le travail des verres techniques, en particulier dans le domaine des plaques en vitrocérame. Depuis cette reprise, le site n’a cessé de croître. Le bâtiment doit être agrandi en 2004. «Aujourd’hui, Schott compte près de 200 collaborateurs. En offrant un prolongement au travail sur les optiques des caméras Bolex, Eric Guinchard est l’un des hommes qui a permis à Yverdon-les-Bains de surmonter la crise consécutive à la fermeture de Paillard», souligne son beau-fils Jean-Luc Wulliamoz. Ainsi en 1994, le journaliste- écrivain Drago Arsenijevic consacre un chapitre entier à Eric Guinchard dans son ouvrage «Les hommes du défi» (lire encadré).

Sa fille Liliane garde l’image d’un homme «réservé, introverti, très proche de ses ouvriers et respecté d’eux». Eric Guinchard était un patron à l’ancienne, plus attiré par la technique que par la gestion. A sa retraite, il continuera de se passionner pour l’histoire de l’optique. Il était aussi à la tête d’une imposante famille : trois enfants, dix petitsenfants et dix-huit arrières-petits- enfants. «Nous devions tous nous retrouver le 5 janvier prochain pour une fête à l’usine d’Y-Parc. Il s’en réjouissait énormément», raconte encore sa fille Liliane. L’homme ne pourra malheureusement pas honorer ce rendez-vous qui lui tenait tant à coeur, mais laissera une marque indélébile dans l’histoire économique de toute une région.

 

«Il s’en est fallu de peu que tu perdes un oeil»

«-Je veux être chimiste,répétait le petit Eric Guinchard à qui voulait l’entendre.

Papa Guinchard, lui, ne voulait précisément pas entendre parler de ce fichu métier qui a failli éborgner son fils.

– Tu te souviens de ce sacré mélange qui t’avait explosé à la figure ? Il s’en est fallu de peu pour que tu perdes un oeil… Je ne l’ai pas oublié…

A vrai dire, Eric, lui aussi, avait été refroidi par cette malheureuse expérience. Il ne devait plus jamais recommencer. Il faut dire qu’à dix ans on tâte de tout. Surtout si on est habile de ses mains. Et Eric ne pouvait pas dire le contraire. Il vivait à la campagne, à Gorgier, où il était né en 1920. (…) Le jeune Eric, puisqu’il avait renoncé à se lancer dans les dangereuses pratiques associées au métier de chimiste, se demanda alors s’il n’allait pas devenir électricien.» Extrait tiré de «Les hommes du défi. Des réponses à la crise dans le Nord vaudois», Drago Arsenijevic, éditions de la colline, 1994.

Yan Pauchard