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L’adieu au saltimbanque-inventeur

17 janvier 2014

Fondateur du Théâtre de L’Echandole et des Jeux du Castrum, Roger Zanetti, dit Zaneth, est décédé cette semaine d’un cancer. Il restera comme l’homme qui a donné à Yverdon-les-Bains le goût de la culture.

Ce portrait est l’une des photos préférées de son fils Yvan Zanetti.

Ce portrait est l’une des photos préférées de son fils Yvan Zanetti.

Il était l’inventeur génial d’un cor des Alpes télescopique, le compagnon de route des Mummenschanz, le fondateur du théâtre de L’Echandole, l’ami fidèle et le musicien de rue. Zaneth était tout ça, et bien plus encore. Roger Zanetti, de son vrai nom, a disparu lundi dernier, à 6 heures du matin, emporté par un cancer. Et toute une région se retrouve sous le choc. «C’est un grand personnage d’Yverdon qui s’en est allé, il n’y en a pas beaucoup comme lui, glisse ému son ami René Betschart, directeur de l’association La Licorne. Il mettait de la passion dans tout ce qu’il faisait, il avait du respect pour chacun et sa gentillesse était sans borne.»

Avec la disparition de Zaneth, c’est en effet une des pages les plus riches de l’histoire culturelle yverdonnoise qui se tourne. L’homme, ingénieur en électronique né le 15 mai 1944 à Saint-Gall, débarque dans la Cité thermale à la fin des années 60 pour travailler chez Bolex. Il s’installe dans une petite maison du quartier des Cygnes qu’il n’a jamais quittée. C’est un technicien, mais le virus de la musique est trop fort pour celui qui, durant sa jeunesse à La Tour-de-Peilz, écumait les bals en tant que bassiste d’un groupe de rock. Il quitte alors l’entreprise, joue dans la rue, vivote, retravaille pour Bolex.

L’année 1975 marquera un tournant. Zaneth est engagé comme animateur d’un centre pour jeunes, Le Caveau, au quai de la Thièle. «C’était un lieu incroyable, il y avait un tel foisonnement, se souvient son fils Yvan Zanetti. Avec ma mère Marlyse, que tout le monde appelait Marlon, mon père y montait des comédies musicales, donnait des cours de graffitis… Tout le monde était le bienvenu. Que tu sois bouddhiste ou homosexuel…».

Sur la liste socialiste

Le 8 juin 2011, La Région rencontrait Zaneth dans ses ateliers des anciens locaux Leclanché, à l’avenue de Grandson.

Le 8 juin 2011, La Région rencontrait Zaneth dans ses ateliers des anciens locaux Leclanché, à l’avenue de Grandson.

Deux ans plus tard, Zaneth, qui veut qu’Yverdon-les-Bains «se bouge », se présente sur la liste socialiste pour le Conseil communal. A la surprise générale, il termine deuxième, juste derrière le syndic Pierre Duvoisin. «A ce moment, il s’est même présenté contre moi à la syndicature », souligne aujourd’hui ce dernier. Soutenu par le futur conseiller d’Etat qui veut redorer l’image d’une ville, ternie par les licenciements dans l’industrie, Zaneth déménage le Caveau au château en 1979, et crée le théâtre de L’Echandole. La même année, il fonde le festival des Jeux du Castrum.

«C’était un pionnier, souligne Brigitte Romanens, directrice de L’Echandole de 2000 à 2012. Un vrai ouvrier de la culture dans le bon sens du terme.» S’ouvre alors une période d’effervescence culturelle pour la Cité des bains. Zaneth en est le fer de lance. Pierre Duvoisin se souvient avec nostalgie d’une nuit passée avec Léo Ferré venu se produire au château. L’Echandole devient incontournable. «Mon père ne signait jamais un contrat, refusait tout conseil d’administration», raconte Yvan Zanetti. L’homme croit en la parole donnée, donne sa chance à chacun. Il finit par quitter L’Echandole en 1987, pour se lancer dans d’autres projets. Notamment, il devient le régisseur du clown Dimitri (1988-89), travaille pour le Pavillon de l’Exposition universelle de Séville (1992) et intègre la fameuse troupe de mimes Mummenschanz (1993-95).

A la fin des années 90, Zaneth ouvre le dernier grand chapitre de sa carrière. Fatigué de transporter son encombrant cor des Alpes aux quatre coins du monde, l’Yverdonnois se lance dans la création d’un instrument télescopique en carbone. Il se tourne alors vers un ami d’enfance, Jean-François Burkhalter, dit «Bouboule», talentueux constructeur de bateaux qui a, entre autres, conçu tous les moules des voiliers du navigateur Pierre Fehlmann. La production démarre en 1999. Douze ans plus tard, le 21 mai 2011, un alpiniste autrichien, Herbert Gielesberger, joue avec l’un de ses instruments au sommet de l’Everest. Zaneth est le «saltimbanque-inventeur », pour reprendre le titre du «plan-fixe» qui lui est consacré en 2002.

C’est hier que Roger Zanetti a été enterré au cimetière d’Yverdon-les- Bains, après un culte dans la petite chapelle des Cygnes. Selon les voeux de l’artiste, la cérémonie s’est déroulée sans la stricte intimité de la famille. Une soirée sera organisée prochainement à L’Echandole pour rendre un dernier hommage public à Zaneth, l’homme qui a donné à la Cité thermale le goût de la culture.

Yan Pauchard