Logo

L’ancien agriculteur a fini de bichonner ses terres

1 juillet 2015

Golf – Le doyen des jardiniers de Vuissens a pris sa retraite, hier. Avant qu’on n’y installe des greens, des lacs et des bunkers, Louis-Alfred Emery cultivait du blé, du maïs et des pommes de terre sur ses huit hectares. Rencontre avec un homme qui a vu sa vie changer, en même temps que son village.

Louis-Alfred Emery sur le green du trou n° 7. Il les connaît tous comme sa poche. © Michel Duperrex

Louis-Alfred Emery sur le green du trou n° 7. Il les connaît tous comme sa poche.

«Mon père était un authentique terrien. Qu’aurait-il pensé en voyant qu’on utilisait ses champs pour faire un golf?» Aujourd’hui encore, Louis-Alfred Emery (65 ans depuis le 1er juin) n’a pas tranché la question. Le paternel était déjà décédé quand, pour la première fois, on toquait à la porte de son fils en lui expliquant l’idée: faire revivre le château de Vuissens en installant un golf de 18 trous à ses abords. Au début, il n’y croyait pas trop. Mais pour que le projet puisse être mené à bien, ses huit hectares de terrain agricole étaient nécessaires. «J’ai fini par dire oui, mais j’ai posé mes conditions, se souvient-il. Il fallait me donner un emploi à plein temps.» Son boulot, il l’a eu, il l’a aimé et il y est resté fidèle jusqu’au bout. Hier, après une ultime journée de travail, il a pris sa retraite.

Au tournant des années 2000, Louis-Alfred Emery a ainsi pris un virage radical: il a quitté son métier d’agriculteur, ses récoltes, son bétail, pour devenir jardinier, c’est-à-dire pour bichonner le gazon du golf qui allait voir le jour dans la campagne de cette petite enclave fribourgeoise. «Je n’ai jamais regretté ce choix, glisse-t-il. Après tout, c’est un travail qui ressemblait à celui que je faisais auparavant. Je me suis toujours occupé de mes terres, sur des machines, en pleine nature.»

Il est un des deux propriétaires terriens, avec Bruno Fasel, à avoir participé au début de l’aventure, dès la création des infrastructures. Alors, l’équipe était restreinte. «On s’occupait de tout. On faisait même le café et les sandwiches pour les golfeurs!» Une quinzaine d’années plus tard, il a quitté une brigade de neuf personnes, dirigée par le greenkeeper (intendant de parcours) Dominique Chartier et au sein de laquelle règne une excellente ambiance. «A part moi, il n’y avait plus que des jeunes, note celui que tout le monde surnomme Frédy, voire l’Ancien. Je les ai beaucoup appréciés, car ils m’ont témoigné du repsect. S’il fallait débroussailler debout, ils s’y collaient volontiers et me laissaient au volant d’une tondeuse.»

Etranger à l’univers du golf

Originaire de Vuissens, il s’est petit à petit familiarisé avec l’impressionnant parc de véhicules nécessaires à l’entretien du parcours. La tonte doit être précise; elle est très différente en fonction des zones. Tout ça, Louis-Alfred Emery a dû l’assimiler, lui qui était tout à fait étranger à l’unviers du golf avant de s’y retrouver plongé. Peu à peu, il a attrapé le virus. «Quand il y a une compétition à la télévision, je la regarde, et j’ai aussi été voir l’épreuve de Crans-Montana», souligne-t-il.

Il a aussi, bien sûr, déjà frappé quelques balles sur le practice, mais sans jamais franchir le cap de commencer à jouer. «Ce n’est pas dit que je ne le ferai jamais», souffle-t-il. Il avoue d’ailleurs ne pas avoir préparé sa retraite au-delà de ces prochains jours, qu’il a prévu de consacrer à faire du foin, pour les quelques moutons et poneys dont il s’est toujours occupé «à côté». Après? Il ne sait pas trop. Mais il aime «l’activité, le mouvement, et pas la solitude». Chanteur dans des choeurs d’hommes depuis 37 ans, mordu de matches aux cartes, celui qui est aussi un ancien municipal de Vuissens a quelques pistes pour occuper ses prochaines années.

Et puis, le golf, son golf, ne sera jamais loin. Il habite tout près du parcours et il a déjà prévu de venir s’y promener, lui qui ne se lasse pas de contempler les greens, les fairways et les roughes tant appréciés des sportifs du coin. Même si elles sont aujourd’hui vendues, il reste attaché à ses terres. «Quand je vois avec quel soin c’est entretenu, je trouve que c’est vraiment beau.» Alors, qu’en aurait dit son père? «On n’en saura jamais rien, lance Louis- Alfred Emery. Mais je pense qu’il aurait compris.»

 

Didier Cuche et Jakob Hlasek

Quand on lui demande d’évoquer les anecdotes qui ont marqué sa vie de jardinier, Louis-Alfred Emery se rappelle des orages terribles qui, parfois, en quelques minutes, ruinaient une matinée de boulot à ratisser le sable des bunkers. Et puis, il se souvient de Didier Cuche, Jakob Hlasek ou encore Gaël Monfils, des célébrités qui sont venues parfaire leur swing à Vuissens. «Ces gens connus, ils ont marché sur les terres que j’avais travaillées. Ça marque», sourit-il.

Lionel Pittet