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L’appointé Feller a affronté l’ennemi
© Michel Duperrex

L’appointé Feller a affronté l’ennemi

24 janvier 2021

Paul Feller, 99 ans, a vécu la mobilisation, il y a 80 ans de cela. Sans que ce soient celles d’un haut gradé, ses mémoires sont précieuses à plus d’un titre, notamment parce qu’il est l’un des derniers Nord-Vaudois à avoir vécu cette période de l’intérieur. La parole à l’appointé Feller, à la mémoire bien vive.

Véritable mémoire vivante de la Seconde Guerre mondiale, Paul Feller n’est pas avare d’anecdotes au moment de raconter son service sous le drapeau suisse. De précieux souvenirs que l’homme de 99 ans a accepté de partager avec La Région.

Pour Paul Feller, originaire de Payerne, l’aventure militaire débute à une date spéciale pour lui: «J’ai reçu ma lettre le 24 décembre, jour de mon anniversaire! Je venais de fêter mes 19 ans, nous étions en 1941.» Mobilisé, le jeune homme doit se rendre à Bière le 2 février 1942. «J’ai initialement été recruté comme canonnier. Puis, quand ils ont vu que j’étais bon tireur, ils m’ont passé au fusil-mitrailleur.»

1942, 2020: même combat?

Le quotidien d’un soldat suisse n’a que peu évolué par rapport à aujourd’hui. «Le matin, à 5h30 c’était la diane, se remémore Paul Feller. On s’occupait rapidement de notre toilette, puis la matinée on faisait de la gymnastique. L’après-midi, il fallait ranger tip-top tout notre matériel!» Autre similitude, les longues marches. Parfois très longues, même, à l’image de cette «promenade» qui a mené Paul Feller de Corcelles-près-Concise aux abords de Rougemont, dans le Pays d’Enhaut. «Nous sommes partis à 4h du matin et arrivés peu après minuit», indique celui qui a fêté 99 ans le mois dernier. Mais heureusement, il existait une technique pour supporter de si longues marches. «Le canon était tiré par des chevaux. Du coup, on faisait des bouts assis sur le véhicule et d’autres à pied. Mais ça dépendait beaucoup du commandant!»

Si des similitudes peuvent être tirées, être mobilisé durant la Deuxième Guerre mondiale a aussi permis à Paul Feller de vivre des moments inoubliables. Comme cette nuit à la frontière tessinoise. «On était de garde avec un copain, camouflés près de la borne qui délimitait la Suisse de l’Italie. À un moment, il me pince et fait chut du doigt. C’est alors qu’on aperçoit une personne qui s’approchait au loin, raconte celui qui était appointé. Un garde allemand est sorti d’un buisson et s’est approché de cette personne. Au moment où il s’est montré agressif, mon camarade s’est saisi de son fusil et il a tiré.» De retour au local de garde, les deux hommes décident de tout raconter. «Il fallait faire un rapport, puisqu’il nous manquait une cartouche. Le capitaine a alors réuni tout le monde et il nous a dit que l’on pouvait subir des représailles et qu’il comptait sur nous tous. Il a même ajouté que si l’un de nous flanchait, il le descendrait lui-même!»

Le Payernois d’origine, établi à Yverdon depuis 1966 pour travailler à Philip Morris à Onnens, a vécu la fin de la guerre à Bâle. Mais avant d’entendre les cloches de la paix sonner, l’appointé a aussi vécu l’un des moments les plus absurdes de la Seconde Guerre mondiale: le bombardement de la gare aux marchandises par les alliés.

«Heureusement, de ce que je savais, il n’y avait personne dans la gare, rassure Paul Feller. Mais la déflagration était si forte que certaines façades de bâtiments on été soufflées! Et les chevaux ont eu si peur qu’ils se sont enfuis en arrachant le piquet auquel ils étaient attachés. On a dû faire l’impossible pour les calmer sans qu’ils ne blessent personne!»

Et aujourd’hui, en se remémorant cette période, à quoi pense Paul Feller? «C’est quand même de bons souvenirs. Il y avait une très bonne camaraderie. D’ailleurs on se retrouvait une fois par année avec mes compagnons de la Batterie 14. Surtout, on a eu la chance de ne pas connaître de gros drame. Et au final, nous avons accompli notre mission: l’ennemi n’est pas entré chez nous.»

Massimo Greco