Le cœur, l’oreille et les mains du vestiaire
3 avril 2019Edition N°2470
«Fatton», de son vrai nom Reynold Conod, s’occupe des maux de l’esprit et du corps des joueurs du FC Bavois, club dont il est le masseur depuis 24 ans.
Aux Peupliers comme autour des autres terrains de foot de la région, Reynold Conod est connu comme le loup blanc. Voilà bientôt un quart de siècle qu’il est le masseur et confident des innombrables joueurs qui sont passés au FC Bavois, et donc entre ses mains. «J’adore l’ambiance qui règne dans les vestiaires, le contact avec les gens, écouter les discussions sur la manière d’aborder le match, de se motiver, et voir tout cela être ensuite mis en application depuis le banc. C’est plus qu’une passion, c’est une drogue, ose l’intéressé. Je suis tant dévoué que j’en oublie parfois que j’ai bientôt 71 ans. Mais le jour où j’aurai envie d’arrêter n’est pas près d’arriver.»
«Fatton» a tout vécu avec le club de la plaine de l’Orbe – pas mal de promotions, d’ailleurs – et croisé bien des gens de monde différents, des joueurs du village à ceux, presque professionnels, du FC Bavois actuel. L’idée d’utiliser ses mains n’est pas venue de nulle part. Son papa, Louis, massait déjà ses troupes à l’époque où il coachait. Mais ce sont surtout les problèmes aux genoux rencontrés par Reynold Conod, alors qu’il entraînait les juniors B de Croy au milieu des années 1990, qui l’ont contraint à trouver un autre moyen de toujours pouvoir humer l’odeur des pelouses de foot. «Mon médecin m’a dit de tout arrêter, mais ça m’ennuyait de quitter le monde du sport et les vestiaires, raconte celui qui porte des prothèses à chaque genou. J’ai vu dans le journal une annonce pour des cours de massage, j’ai appelé le soir même et la semaine suivante, je commençais.» Au FC Bavois, bien sûr.
Le virus était attrapé. «Et il est même resté dans la famille, puisqu’une de mes filles, Marie-Paule, a ouvert un salon de reboutologie à Orbe.»
Jamais sans Gabrielle
Impossible de parler de «Fatton» sans évoquer sa compagne. Quand le masseur est au bord du terrain, Gabrielle Burnier n’est jamais loin. Établis à Valeyres-sous-Rances, les inséparables partagent leur vie depuis 27 ans. «Elle adore le sport et assiste à tous les matches. C’est une vraie chance, insiste-t-il, venu lui-même sur le sujet. Je connais bien des footballeurs qui ont arrêté pour leur femme et ont divorcé deux ans plus tard.»
Elle le suivait également dans les patinoires quand, durant seize années, son compagnon officiait aussi dans le vestiaire du HC Yverdon. «Je faisais le hockey l’hiver et le foot l’été. Mais j’ai dû arrêter le HCY, ça faisait trop», poursuit celui qui a également été cuisinier bénévole durant six ou sept ans pour le Nouvel An des isolés, à Orbe.
Du train au bateau
Son premier métier lui a permis de faire le tour du monde en quinze mois. «J’ai intégré la marine marchande suisse en tant que cuisinier à 21 ans, se souvient-il. Je venais de mettre une bonne amie, que je savais que je ne reverrais plus, au train à Lausanne. Alors que je tournais en rond, j’ai croisé un ami qui m’a convaincu de m’engager sur un bateau pour passer à autre chose. Cela m’a permis de voir l’Asie, l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord.»
Pourtant, à la maison, c’est Gabrielle qui enfile le tablier. «Elle cuisine super bien… avec mes recettes!», lance «Fatton», taquin.
Le coup de la fourchette à fondue
En évoquant le vestiaire, le boute-en-train redevient sérieux. «Quand les gars perdent, il faut être là; quand ils gagnent, savoir les laisser fêter.» Les joueurs peuvent avoir une totale confiance en lui: il ne trahira aucun secret de vestiaire. Que ce soit pour chauffer les muscles ou les détendre , le job est réalisé consciencieusement, avec passion et clairvoyance. «On n’est pas des médecins, on doit rester prudents.» Cela n’empêche pas de recourir à une certaine imagination lorsque la situation l’impose. «Je me souviens d’une fois où Jean-Luc Besson (ndlr: célèbre attaquant de la région) souffrait d’un ongle incarné. On avait chauffé une fourchette à fondue pour percer et désinfecter. Il avait joué et marqué deux buts ce jour-là.» La différence entre un bon et un mauvais masseur…
Il a été «Fattounet» avant de devenir «Fatton»
Peu de gens savent que celui que tout le monde connaît comme «Fatton» se nomme en fait Reynold Conod. «Il m’est même régulièrement arrivé de recevoir des courriers officiels et des factures au nom de Fatton, s’esclaffe le concerné. Je pense que les gens croient que je m’appelle ainsi, car c’est justement un vrai nom de famille.»
Ce surnom, l’éternel masseur du FC Bavois l’a hérité de son papa, qui en était lui-même affublé alors qu’il était l’entraîneur du FC Arnex dans les années 1950. «C’était à la grande époque de l’attaquant de Servette Jacky Fatton. Du coup, quand j’étais petit et alors que j’accompagnais mon papa au bord du terrain, les gens me disaient Fattounet.» Avant qu’il ne devienne lui aussi «Fatton», une fois grand.
L’alias lui colle si bien à la peau que Reynold Conod a même été incapable de faire avaler à «un vieux monsieur rencontré en Valais» qu’il n’était pas le vrai buteur genevois et de l’équipe de Suisse. «Ce bonhomme me disait: je me souviens bien de toi, quand tu jouais à Servette, raconte le vrai faux Fatton. J’avais beau tenter de lui expliquer qu’il ne s’agissait pas de moi, qu’il y avait une bonne génération d’écart, il était persuadé de m’avoir reconnu et n’en démordait pas.»