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Le combat permanent d’un droguiste résistant

29 janvier 2015

Fred Vonlanthen, qui fête les 50 ans de son commerce à Yvonand, a vécu, comme l’essentiel de sa fratrie, la réalité des enfants placés. Portrait d’un homme habitué à lutter contre vents et marées.

A 76 ans, Fred Vonlanthen ne peut pas se résoudre à rendre son tablier de droguiste. © Nadine Jacquet

A 76 ans, Fred Vonlanthen ne peut pas se résoudre à rendre son tablier de droguiste.

Fred Vonlanthen, 76 ans, s’accroche à sa «boutique » tapa-sabllia depuis cinquante ans. De l’inconscience, dans un milieu où les confrères ferment les uns après les autres, soumis à la rude concurrence des grandes surfaces et des chaînes de pharmacie? Peut-être un brin. Mais, en tout cas, il s’agit d’une belle illustration du caractère de battant du personnage, façonné à travers les épreuves.

Aîné de huit enfants, l’actuel droguiste de la Grand’Rue a vu le jour le 26 janvier 1937 à Kleinhüningen (Bâle). Il reste à la maison, chez ses parents, jusqu’à ses 7 ans, ne conservant pratiquemment pas de souvenirs de cette période de son existence. La tuberculose frappe la famille. Elle lui coûte un rein et ôte la vie de l’un de ses frères.

Passage par Fribourg

Le temps de la convalescence se déroule à Pringy, en Gruyère, puis sa guérison entraîne une fracture. Au lieu de regagner le domicile familial, le petit Fred est placé à l’orphelinat des soeurs de Saint-Vincent-de-Paul, à Tavel, dans le canton de Fribourg, ses parents, sans-le-sous (son père était alcoolique), ne parvenant pas à assumer sa prise en charge. Six de ses frères et soeurs auront le même destin.

La vie dans ce nouvel environnement est soumise à des règles strictes, avec une forte empreinte catholique. «On servait la messe à la chapelle et dans les pensions de jeunes filles. J’aimais aller dans ces dernières, car je recevais des cadeaux à Noël. Mais ce que j’adorais le plus, c’était la messe servie à l’hôpital, car je recevais du beurre et de la confiture pour les tartines. Sinon, nous avions essentiellement des légumes à l’orphelinat», se souvient Fred Vonlanthen.

Ecole et travaux Hormis l’école, les travaux de jardinage et des champs, comme le ramassage des cailloux ou les moissons, rythment le quotidien des pensionnaires, également tenus de s’occuper des vaches et des chevaux lors de la dernière année de leur scolarité.

Contrairement à ce qu’ont révélé d’autres enfants, Fred Vonlanthen n’a pas été maltraité durant son placement. Il a également été relativement épargné par les railleries et les coups dont ont pu souffrir certains de ses camarades. Néanmoins, il n’était pas question pour lui de rester dans ce cadre sévère et dénué de toute affection, d’autant que le jeune homme, seul représentant de l’orphelinat à avoir suivi l’école secondaire, nourrissait d’autres ambitions.

Une «évasion»

«J’étais le seul sur une dizaine à ne pas avoir été placé chez des paysans à la fin de mon parcours scolaire. J’avais une chambre dans un grenier, mais je me suis évadé de l’orphelinat après quinze jours, dans le but d’aller à Fribourg à la recherche d’une place d’apprentissage », relève-t-il.

Fred Vonlanthen livre, une année durant, du pain à vélo dans toute la ville pour le compte d’un boulanger. Il tente aussi de renouer avec ses parents, des retrouvailles qui font long feu. «Je suis resté environ une semaine chez eux. Un jour, lorsque je passais devant un magasin de seconde main, j’ai vu des vêtements et des souliers m’appartenant derrière la vitrine. Mon père les avait sans doute vendus pour se payer à boire», commente Fred Vonlanthen.

Pas près de s’arrêter

Après cette rupture brutale, il décroche un emploi de commissionaire pour une pharmacie, où il amasse les compétences jusqu’à s’occuper du commerce lorsqu’un deuxième point de vente ouvre à Pérolles. Le Nord vaudois lui tend finalement les bras par le biais d’une place d’apprentissage chez Margot, à Yverdon-les-Bains.

C’est la porte d’entrée vers un métier qu’il pratique toujours avec passion, dans la commune voisine d’Yvonand, où il est présent depuis 50 ans, avec sa femme, Arlette.

Dans son laboratoire, Fred Vonlanthen montre sa «bible », un petit cahier regroupant un nombre incalculable de formules liées à la fabrication de toutes sortes de produits -antigel, cire pour plancher de bal, épice pour sauce à rôtir et pastis, pour ne citer qu’eux. «Je l’aime, cette boutique. Cela me ferait mal au coeur de la voir fermer, alors je continue. On arrive facilement à vivre 100 ans aujourd’hui, n’est-ce pas?», plaisante celui qui semble avoir tous les remèdes aux maux de l’existence.

Ludovic Pillonel