Jean-François Morel a transmis, face à la caméra, des anecdotes qui ont marqué les premières explorations.
Le temps passe, et avec lui les souvenirs s’estompent. Certes, il reste les écrits et les images, mais ce ne sont que des balises limitées dans un espace-temps généralement bien plus long.
Et c’est notamment le cas avec les centaines d’heures consacrées dans les années 1960 par les plongeurs qui ont exploré les belles galeries de la grotte vaudoise. Afin d’en garder une trace vivante, Anaëlle Tock, cheffe d’exploitation des grottes de Vallorbe, a enregistré les anecdotes contées par Jean-François Morel, dernier survivant de l’équipe d’explorateurs.
L’ancien chef du secteur Nord de la Compagnie vaudoise d’électricité (CVE), aujourd’hui Romande Energie, s’est déplacé la semaine dernière dans l’espace souterrain pour évoquer quelques-uns de ses souvenirs étroitement liés aux premières explorations, ainsi qu’aux opérations qui ont précédé l’ouverture au public, il y a près de cinquante ans.
Campé dans la salle du Kern – les premiers explorateurs y sont arrivés après avoir émergé dans un lac inconnu du grand public, situé à quelques dizaines de mètres de là –, l’octogénaire a conté dans quelles circonstances il a été associé à cette incroyable aventure.
La découverte d’un environnement souterrain jusque-là inconnu a été réalisée par des Genevois qui, avec du matériel utilisé en lac, ont plongé dans la résurgence de l’Orbe, au fond de la reculée de la Dernier. Ils sont sortis à l’air libre à l’intérieur de la montagne et en ont parlé à des camarades du bout du lac. C’est dans ces circonstances que Bernard Santandrea et Christian Giurumello, dit Mello, aujourd’hui décédés, ont décidé d’aller voir…
Non seulement ils ont constaté que leurs prédécesseurs avaient vu juste – ce n’était pas évident avec les lampes électriques de l’époque –, mais ont commencé l’escalade qui allait leur permettre de rejoindre les galeries à l’air libre. Par la suite, le Lausannois Rino Gamba, puis Jean-François Morel, se sont joints à l’équipe.
Le Nord-Vaudois – il est aujourd’hui domicilié à Yverdon-les-Bains – avait été amené à aider les plongeurs, en raison de ses responsabilités à la CVE. Du coup, les explorateurs avaient pu disposer d’un local, et d’une douche – un luxe – dans la centrale électrique de la Dernier. Mais pour participer aux explorations, Jean-François Morel avait dû passer son brevet de plongée, quand bien même il pratiquait déjà l’activité dans le cadre de l’entretien de certaines installations électriques.
L’éclairage a été un élément clé dans la découverte des grottes, que les explorateurs ont systématiquement documentée. «De manière générale, les explorations ont été effectuées de nuit. On entrait dans la grotte le vendredi soir, au terme de la semaine de travail, et on ressortait le lendemain à la mi-journée ou dans l’après-midi. Dormir dans la grotte, ce n’était pas une option», relate-t-il.
Ainsi, ils n’ont jamais dormi dans la cavité. Car transporter le matériel nécessaire à l’aménagement d’un bivouac à contre-courant dans le siphon aurait été une tâche épuisante. Cela dit, l’un d’eux, lors d’un incident de plongée, a passé de très longues heures dans la cavité avant que ses deux camarades genevois, qui revenaient d’une plongée dans le sud de l’Europe, ne viennent le rejoindre et l’accompagner à l’extérieur en toute sécurité.
Lorsque la jeune cheffe d’exploitation des grottes s’étonne de l’audace des explorateurs, Jean-François Morel répond sans sourciller: «Il n’y a pas de progrès sans une certaine témérité. Tout est question de limites. Il s’agit de ne pas aller trop loin. J’ai commencé la plongée à 27 ans et je suis toujours là. Et mes camarades, décédés ces dernières années, sont partis naturellement.»
L’explorateur explique aussi le nom donné à la salle du Kern: «Une fois, au tout début, mes camarades se sont perdus dans cette salle. Aujourd’hui, elle est bien éclairée. Mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Ils n’avaient que de petites lampes de poche. Alors ils ont construit un cône de cailloux. D’où le nom donné à la salle.»
Jean-François Morel évoque aussi la motivation des explorateurs: «Une fois, j’ai exploré une galerie de 25 mètres. Etre le premier, c’est un souvenir inoubliable.»
Le temps passant, les promeneurs voyant régulièrement les plongeurs à la résurgence de l’Orbe, leurs activités ont alimenté la rumeur. Elle est parvenue aux oreilles des autorités et des entrepreneurs de Vallorbe. Alors patron de Jaquet Fers, Paul Robert, soutenu par le syndic Alfred Jaillet, y a vu une opportunité pour le tourisme.
Les explorateurs leur ont montré des photos. Mais cela n’a pas suffi à convaincre Paul Robert. «Il voulait voir de ses propres yeux. On lui a proposé de faire le brevet de plongée, mais il a répondu qu’il n’avait pas le temps.» Et l’entrepreneur de leur proposer une solution… «Il voulait faire couper un gros tube d’acier de 2,5 mètres avec quatre poignées. Il s’y serait glissé avec une bouteille d’oxygène et nous lui aurions fait passer le siphon en le tirant! Mais on ne voulait pas prendre le risque de mettre la vie d’un grand patron en danger», explique Jean-François Morel, encore amusé par cette proposition loufoque.
L’ancien patron de Jaquet, qui a aussi présidé le conseil d’administration de Grottes de Vallorbe SA, ne reculait devant rien. Plus tard, il a même imaginé créer un ascenseur pour relier directement le Mont-d’Orzeires (Juraparc) aux grottes!
Finalement, les entrepreneurs locaux ont foncé. Sans eux, et bien entendu sans les risques pris par les explorateurs, le public n’aurait jamais eu accès à ces galeries richement concrétionnées, mais aussi à une rivière que le visiteur peut voir couler à l’intérieur de la montagne.
Le creusement de la galerie de retour, qui permet au public de faire un circuit, et des fameuses alvéoles – le Trésor des fées – sont aussi évoqués par l’explorateur, avec de nombreuses petites histoires qui font le sel de cette incroyable aventure, qui profite chaque année à des dizaines de milliers de visiteurs.
INFOS PRATIQUES
En ligne: L’entretien filmé complet de Jean-François Morel sera bientôt mis en ligne sur le site des grottes: www.grottesdevallorbe.ch